« Le problème c'est la centralisation »

Publié le :

Aujourd'hui, sur une plateforme centralisée, un tweetclash involontaire entre votre serviteur et Adrienne Charmet (que j'estime beaucoup, vu que j'ai été parmi ceux qui l'ont invité à venir parler à Paris Web, coucou Adrienne ;-) mérite une explication en plus de 140 caractères…

Mon problème est que « la centralisation » est une généralisation et un concept-valise flou pour moi quand on parle de réseaux sociaux. Il existe plusieurs acteurs concurrents, que le capitalisme pousse naturellement à chercher à avoir la plus grande part du gâteau. Et il existe d'autres moyens de publier en ligne que ces acteurs. Le problème pour moi, c'est un manque d'éducation, de connaissance de ces possibilités.

Passons sur le problème habituel de ce genre de discussion en 140 caractères, mon style rugueux et l'emploi de termes comme moutonnier ou naïveté qui rendent mon propos condescendant.

Quand je fais le constat que Facebook et consorts profitent (rappelons que ce sont des sociétés capitalistes, pour qui profiter n'est pas un gros mot) d'un comportement « moutonnier » de la masse, je ne découvre rien. L'instinct grégaire est un fait humain, il n'y a aucune injure là-dedans ni aucun lien avec l'intelligence (ou un supposé manque). Les réseaux sociaux qui trustent l'attention réussissent parce qu'ils sont les meilleurs à comprendre les comportements humains et ses effets de masse.

Quand je dis qu'il faut éduquer les gens à la publication en ligne, pour leur donner les clés qui leur permettront de ne pas se faire piéger comme ceci, ça n'est pas non plus faire insulte à leur intelligence. Car sans intelligence, l'apprentissage n'est pas libératoire. Et La Quadrature du Net joue un rôle dans cette éducation du public.

C'est me faire un bien mauvais procès que de croire que je fais partie de ces « hauts esprits qui - seuls dans leur tour - ont la Vérité ». Et si Adrienne veut bien se mettre à ma place, prétendre que je n'ai jamais discuté avec des gens normaux est un tantinet condescendant aussi car j'en connais plein, et l'immense majorité sait très bien que Facebook est une société privée et pas un service public pour la promotion de la liberté d'expression.

Je réagissais surtout à cette tendance très française à considérer tout selon le prisme état-providence et régulation, et à avoir une lecture purement franco-française, et donc sommaire, de phénomènes mondiaux. Ici par exemple, violer les conditions générales d'un service privé de droit américain est appelé sommairement « censure ». Les américains ont un vrai problème avec le sexe, et les français ont un peu de mal à comprendre que les illustrations de ce genre ne passent pas sur Facebook. C'est connu, c'est culturel, c'est peut-être problématique de notre point de vue français, mais en quoi rappeler que Facebook est une société privée de droit américain avec la conception américaine de la liberté d'expression est-il prendre les gens pour des idiots ? Et en quoi leur rappeler qu'ils ont d'autres moyens pour publier en ligne est-il les culpabiliser ou les priver d'autonomie ?

Je crois, au contraire, que hurler à la censure et appeler à « décentraliser d'urgence » sans plus d'explications, ou faire croire aux gens qu'ils peuvent se passer de lire et comprendre les conditions d'utilisation d'un service privé, c'est à la fois les prendre pour des idiots et les infantiliser.

Je crois que l'éducation est le moyen le plus puissant d'autonomiser les gens. Et, pour être franc, je ne crois pas à la décentralisation quand on parle de réseaux sociaux de masse. Je crois que c'est faire une erreur classique de geek que croire qu'on sait mieux que ces mékeskidis ce qui est bon pour eux. (Et ne parlons pas de la capacité du geek moyen à comprendre la psyché humaine — oui, je trolle chez moi si je veux ;-).

Ceci dit, je suis parfaitement d'accord avec ça :

Bon courage quand même à ceux qui vont continuer à travailler sur ces solutions (parce que ça a déjà été tenté, avec un succès très relatif, cf. par exemple Diaspora). En attendant, on peut déjà et beaucoup plus facilement éduquer les gens à publier chez eux, et pas chez Fessebouc.

Voilà chère Adrienne, en espérant ne pas t'avoir froissée et au plaisir de te revoir à Paris Web, ou sur cet affreux outil capitaliste et centralisé qu'est Twitter !

P.S.

P.S. 2. Et je connais des gens tout à fait intelligents et avec des moyens (dont chacun leur propre site web, essentiel à leur activité ou payé sur deniers publics), qui eux-mêmes ne comprennent pas les conséquences de leur (mauvaise AMA) utilisation des réseaux sociaux. Il suffit d'observer les comptes Twitter du Congrès de Nouvelle-Calédonie ou de NC1ère pour voir régulièrement des tweets qui renvoient vers Facebook (et souvent sur une page d'erreur) plutôt que directement vers leur propre site web. Sans compter que beaucoup de Twittos sont ici précisément parce qu'ils évitent Facebook comme la peste.
Je comprends le calcul qui consiste à aller là où sont les gens, mais il y a une différence entre distribuer ses flyers dans les bars, et déplacer l'intégralité de son spectacle dans un seul et unique bar en croyant 1) que tout le monde va suivre et 2) que c'est durable.