« Juste un peu gras, mais rien de plus » — Chroniques de l'homophobie ordinaire
L'humour est une chose drôle, même quand ça ne l'est pas. Et drôlement compliquée, même pour ceux qui en font leur fond de commerce. Ce tweet, par exemple,
La Saint Valentin chez le proctologue. pic.twitter.com/M2xd37s2h0
— Ornikkar™ (@ornikkar) 14 février 2017
m'a fait réagir :
Chroniques de l’homophobie ordinaire.
— Padawan (@pdwn) 14 février 2017
(D’où vient ce tropisme pour le trou du cul chez l’hétérosexuel moyen ?) https://t.co/yACXSGF4hh
Ce qui a provoqué juste un « Gné ? » et un « Quoi ? » d'Ornikkar, lequel les a supprimés depuis sans aucune réponse aux miennes. Et — alors que je me suis contenté de soulever le caractère « trou du cul » et gras du dessin de Geluck (il faut connaître, Ornikkar oubliant très souvent comme ici d'attribuer les dessins des autres qu'il diffuse à la chaîne sous son compte) — je me retrouve, par un procès d'intention, accusé de procès d'intention non contre le dessin ou son auteur, mais contre son diffuseur (ça au moins c'est drôle :p) :
@pdwn Quand ça plait pas, faut passer son chemin en évitant de faire trop rapidement un procès à quelqu'un de "clean" comme @ornikkar
— Fanoé (@FanetteNOE) 15 février 2017
Ce n'est qu'une réaction épidermique de quelqu'un qui y voit l'attaque d'un ami plutôt que la critique d'un contenu. Je vous laisse explorer nos échanges pour voir le côté assez comique mais classique sur Twitter d'une personne qui interpelle quelqu'un d'autre pour lui dire à la fois qu'elle a le droit de s'exprimer mais que l'autre aurait dû se taire, qu'elle n'est pas d'accord mais que l'avis de l'autre est importun (je suis prié de ne rien dire quand « ça ne plaît pas » et de ne pas répondre quand on me l'intime). Les spécialistes de l'humour peuvent facilement en manquer par écrit en 140 caractères — ils sont comme tout le monde, nos écrans et la forme lapidaire de Twitter veulent ça, moi aussi je m'y emporte.
Pourquoi ce dessin me gêne-t-il ? Parce qu'une fois évacué le simple prétexte chronologique de la Saint Valentin, il se résume à jouer sur la peur de l'intromission anale chez l'hétérosexuel moyen. Je n'y vois absolument rien de drôle et j'attends toujours qu'on m'explique en quoi il l'est (1). Pour moi qui reçois ce message, l'homophobie qui le sous-tend est manifeste (un mec fait une conjecture graveleuse sur le fait que son proctologue, un autre mec donc, va lui mettre un doigt dans le cul. Ah ah !). Mais je conçois très bien que ce ne soit pas du tout évident pour les intéressés (que je connais mieux qu'ils me connaissent, à l'évidence, et que je ne soupçonne pas une seconde d'homophobie). C'est pour moi comme d'autres travers humains comme la culture du viol, le racisme ou l'antisémitisme qu'on trouve dilués mais prégnants dans « l'humour gras » qui fait rire le vulgaire et passer les gens comme moi pour des pisse-froids qui n'ont aucun sens de l'humour. Observez-vous et dites-moi que jamais — oh grand jamais ! — vous n'avez utilisé « salope », « enculé », « en juif » ou d'autres expressions aussi « humoristiques » que fleuries et qui parsèment notre langue comme des marqueurs d'une culture sociale dont on ne voit plus (ou ne voulons pas voir) ni l'origine ni la signification à force de les utiliser « pour rigoler ».
Je ne suis pas le premier et certainement pas le dernier à me retrouver à me prendre le bec sur une blague mal perçue avec des gens qui n'avaient aucune intention malicieuse à la base. Moi aussi j'ai blagué à coups de « en juif » sans réfléchir par le passé à son caractère antisémite — et pourquoi l'aurais-je fait ? Je ne suis pas antisémite ! Sauf que maintenant que j'ai compris que ça blesse d'autres personnes, j'évite d'utiliser certains mots sous couvert d'humour. Et ce n'est pas facile car, j'ai beau être particulièrement sensible de par mon histoire sur l'homophobie, j'ai été et suis encore ignorant du poids de certaines expressions « humoristiques » qui sont ancrées comme des automatismes à force de les entendre partout.
C'est bien la grande difficulté de décortiquer l'humour « populaire ». Mais ça illustre aussi la nécessité de s'exprimer quand on ne trouve pas ça drôle, et encore plus quand on en est victime. Sinon on peut tout faire passer sous couvert d'humour, absolument tout, y compris via des gens bien sous tous rapports et qui n'y voient rien de mal :
@pdwn Mais croyez moi,ce dessin est juste un peu gras,mais rien de plus. Je vous souhaite le meilleur. Bises.
— Fanoé (@FanetteNOE) 15 février 2017
La preuve donc avec Fanoé et Ornikkar, qui ne sont pas plus homophobes que Geluck mais m'ignorent, me rabaissent ou veulent que je me taise quand je dénonce quelque chose qui me blesse et qu'eux ne voient que comme de l'humour. C'est un très grand classique que de voir des gens, même des professionnels de l'humour, face à quelqu'un qui s'estime victime d'une blague de commencer par l'ignorer, puis le nier, puis se dédouaner au prétexte que c'était de l'humour (même en admettant, à contre cœur, que c'est gras et lourd). Ils ne le font pas par malice, ils sont juste aveugles et un peu sourds(2). Et c'est ce qui est effrayant dans la diffusion de clichés via l'humour populaire, puisque des gens qui sont au fond sur la même longueur d'onde, sont incapables d'en discuter quand ça devient gênant.
P.S.
Kozlika fait un intéressant parallèle avec l'actualité :
@pdwn aka "la défense bamboula"
— Kozlika (@Kozlika) 16 février 2017
Et elle est suivie par ce splendide exemple de défense bamboula (le monsieur m'explique que j'ai pas de vie mais se fait quand même chier à faire une image pour ça, la voici avec les fautes d'orthographes d'origine) :
@pdwn @FanetteNOE @ornikkar pic.twitter.com/kV7TVokp22
— Manu Brewski (@ManuBrewski) 16 février 2017
P.S. 2 : deux jours après, je constate que, juste parce que j'ai décortiqué un dessin qui véhicule un cliché, je me suis fait traiter de con, d'aigri, de malheureux, d'imbu à gerber, de quelqu'un qui n'a pas de vie et qui « cultive [son] statut de victime » par des gens qui ne sont pas du tout homophobes, n'ont pas que ça à faire, et ont du cœur, eux. Et Ornikkar a courageusement supprimé les deux tweets qu'il m'a envoyé et m'a silencieusement viré de ses abonnés. Du classique straightsplaining. Quand le sage montre la lune, l'imbécile regarde le doigt.
(1) Sérieusement, surtout Fanoé et Ornikkar, expliquez-moi ce que vous trouvez drôle dans cette image, qui n'est pas la votre, au point de la défendre bec et ongles face à quelqu'un qui vous dit qu'elle est blessante ? Et sans utiliser le point « politiquement correct » s'il vous plaît, parce que mon maître à penser en matière d'humour c'est Pierre Desproges :).
(2) T'as vu, moi aussi je sais faire des blagues sur des minorités ! Rassure-toi si ça t'a choqué, je n'ai rien contre les handicapés, j'ai des amis sourds. C'est de l'humour, quoi, rhooo, fais pas chier. Et si tu ne comprends pas, va te faire enculer ! (Oui, je trolle chez moi si je veux :p)
Commentaires
Matoo
Je suis tout à fait ok avec toi, tout en acceptant cet humour "de mauvais goût" de la part de gens dont je connais la probité et la candeur. ;) C'est bien le souci avec l'humour car la même chose de Laurent Gerra m'aurait fait faire des cris d'orfraie (très virils), et ces mêmes touiteurs auraient pu relayer cela dans leur propre lutte contre l'homophobie. :) Mais alors il ne reste plus grand chose puisque l'humour est avant tout ce truc assez bas de plafond consistant à ostraciser autrui ? Je me sens un peu démuni à ce sujet...
François Nonnenmacher en réponse au commentaire de Matoo
J'accepte aussi ce genre d'humour quand je sais que c'est fait de manière innocente. C'est d'ailleurs pour ça que je n'attaque pas Ornikkar ou Fanoé (ce qu'ils ne semblent pas bien saisir). Mon but c'est juste de verbaliser et archiver ici ce que je pense du dessin.
Sinon, contrairement au pétrole, l'humour n'est pas une réserve limitée qu'on devrait économiser de peur d'en manquer. Le fait de dénoncer l'humour de merde est un moyen de pression pour que nos amis humoristes se surpassent au lieu de recycler de vieux clichés merdiques.
Eric
Entre le straightsplaining et la défense bamboula, il n'y a finalement que l'épaisseur d'un poil de cul :-P
J'adore toujours quand des hétéros nous expliquent, sous couvert d'humour et de comique croupier, ce qui est homophobe et ce qui ne l'est pas.
Renversons donc l'humour, puisque humour il y aurait : remplaçons "proctologue" par "gynécologue" et le chat de Geluck par une chatte.
Pas sexiste ni misogyne pour deux ronds, en effet :-P
Et de bon goût.
Stéphane Deschamps
NYARHÂRHÂR (comme dirait la mouette de Gaston) :)
Je suis sûr que ça a à voir avec des notions complexes, que je ne suis pas sûr de comprendre non plus, liées comme souvent à la normalité, la pureté/propreté, ce qui se fait vs. ce qui ne se fait pas, que sais-je encore.
Alors que :
1. la peur n'évite pas le danger (héhé)
2. ce qui se passe sous la couette est privé, personne n'oblige personne, et personne ne devrait se mêler de ce qui fait plaisir aux autres.
Et puis sinon, un jour grâce à toi j'ai appris à ne plus dire « les enculés » dans un sens désobligeant. Merci pour ça.
Stéphane Deschamps en réponse au commentaire de Stéphane Deschamps
Au passage j'ai fait comme il est dit dans l'intitulé de Commentaires, « utiliser des balises HTML pour le style ». J'ai donc mis des « q » (huhuhuhu) qui sont bien présents dans le code du commentaire publié mais pas très visibles.
Si tu as deux secondes pour en faire des blockquote, ce serait super s'il te plaît grand manitoudawan. :)
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