Concours, classement, « grandes écoles » : les ingrédients de la faillite française

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C'est le titre, un peu racoleur, d'une tribune de François Garçon. En tant que pur produit de l'éducation élitiste à la française — j'ai fait deux années de prépa Math Sup / Math Spé P+ suivis de trois ans d'école d'ingénieur après le concours des grandes écoles, un DEA, un Master et un début de thèse au CNRS — elle n'a pas manqué de me faire réagir.

Les classes préparatoires, intraduisibles dans aucune langue tant elles recouvrent une éducation bizarre qui pré-sélectionne les meilleurs lycéens, puis les gave de cours et de colles comme le font avec leurs volatiles les éleveurs d’oies dans le Périgord. Après deux ans de ce traitement opéré dans l’enceinte des lycées, ces jeunes se lancent à l’assaut des concours.

Les concours sont la troisième formule gagnante. Ils ont été inventés, nous dit-on, par Vauban en 1697 pour recruter ses ingénieurs [1]. Ceux qui y excellent seraient tout simplement plus intelligents que ceux qui échouent. Les intéressés le croient dur comme fer et, le plus comique, c’est que leurs parents en sont pareillement persuadés.

Si la comparaison avec le gavage des oies en classe préparatoire m'a fait rire (on peut effectivement le ressentir comme ça), je pense que l'auteur jette vite le bébé — les citoyens — avec l'eau du bain — le système éducatif, en particulier celui qui paye son salaire.

Certains parents pensent-ils en effet que leurs enfants sont plus intelligents pour de mauvaises raisons. De mes observations de cette faune étrange que sont les gens avec progéniture, je dirais que c'est vrai de la plupart d'entre eux. Même de ceux dont les enfants ont fait ébénisterie sur contreplaqué. Mes parents, qui n'étaient pas la moitié d'un con, pensaient plus pragmatiquement que dans un pays de diplôme, plus ton PQ est bien vu, plus tu as le choix et les mains libres dans le monde professionnel. Ils ne me pensaient pas plus intelligent pour autant, ils voyaient juste comment fonctionnent les recruteurs et les entreprises. Et c'est très exactement mon expérience, en France.

Les professeurs, dans ce parcours parallèle se déroulant en lycée, eux, corrigent beaucoup de copies, ne publient rien, régurgitent ce que les universitaires dans leurs facultés ont cherché et publié et, pas fous, comptent leurs sous. Avec leurs colles, ces professeurs qui ne publient rien (dans le monde entier, les professeurs au niveau tertiaire cherchent et publient. Ils sont même payés pour ça, et enseignent évidemment), gagnent généralement plus qu’un professeur d’université en fin de carrière qui, lui, publie, fait de la recherche, anime un laboratoire, organise des colloques, relit les travaux de ses pairs, prépare la relève. Cherchez l’erreur.

Ça c'est un problème de gestion interne à l'université, je ne vois pas le rapport avec les concours et les grandes écoles, ni même avec le lycée ! Je ne vois qu'une récrimination salariale et l'habituelle jalousie qui a toujours existé entre l'université et les écoles d'ingénieurs. La preuve de la jalousie par quelqu'un qui fait montre d'une méconnaissance totale de ce sur quoi il crache est dans le « une longue sieste généralement de trois ans au Club Méditerranée » censé représenter le parcours d'un khâgneux après le concours. C'est tellement aux antipodes de la réalité que c'en est risible. Si ça peut vous rassurer, il existe les mêmes préjugés idiots chez certains ingénieurs vis-à-vis de ces clubs de vacances que seraient les universités.

J'ai aussi beaucoup ri de l'attaque sur les concours de la part de quelqu'un qui fait la démonstration que l'université est capable de totalement vider ses examens de leur sens :

Chargé de conférences à l’X pendant vingt ans dans le département Humanités Sciences Sociales, j’ai souvenance d’une circulaire dans les années 1990 nous demandant, à mes collègues et à moi-même, de mettre un point aux étudiants venus à chacun de nos cours. Le semestre s’étendant sur 13 semaines, l’étudiant qui rendait une copie blanche ou l’équivalent, pouvait négliger voire saboter son examen terminal avec la garantie d’un 13 sur 20. Sans commentaires.

Ceci dit, j'agrée avec sa formule sur le degré de conformisme à la machine scolaire française, qui en final résume très exactement ce que ses architectes ont voulu : de braves petits soldats obéissants (Napoléon le premier, littéralement) dans un système fonctionnant quasi exclusivement sur l'argument d'autorité. Et quoi de mieux qu'un joli diplôme avec les bons tampons pour assoir son autorité sans se fatiguer, en France ?

J'ai un diplôme d'ingénieur des industries chimiques doublé d'un DEA en génie des procédés. En d'autres termes, on m'a appris à construire des usines à gaz (des vrais) dans le but que j'aille participer à l'enrichissement en produits divers et variés de la nappe phréatique de la vallée de la chimie à Lyon (Rhône Poulenc trustait les sièges au conseil d'administration de mon école, ce n'est aucunement un hasard). J'avoue, sans aucune honte, que le génie chimique — qui est l'art de touiller et transporter la merde sans en foutre partout — m'a toujours prodigieusement désintéressé, et que j'ai tout fait pour me diriger vers ce qui était une passion depuis mes 14 ans : l'informatique. L'un de mes profs accusait ces « parasites » qui gaspillent l'argent public en n'allant pas travailler dans l'industrie à laquelle ils ont été formés. Lui aussi ne regardait que son petit nombril.

Plus tard, au gré d'un changement professionnel, j'ai eu la possibilité d'aller vers un truc qui me passionnait aussi : internet. Mais le problème, typiquement français, c'est que je n'avais pas les diplômes. J'ai donc passé sept mois à faire un master type DSI (gestion des systèmes d'information/télécommunications/réseaux) dans le seul but de ne pas avoir à me justifier. Je n'y ai strictement rien appris (sauf les délires Minitel sur 20 ans des X de France Telecom, que les clients d'Orange payent encore), mais je suis entré chez Apple, Netscape et CapGemini avec mon diplôme de touilleur de merde génie chimique.

J'ai appris à apprendre, voilà la quintessence de mes études supérieures. Et j'ai pu, avec un diplôme d'ingénieur en poche, faire de multiples boulots complètement différents, entre développer et construire des imprimantes 3D 25 ans avant tout le monde, à organiser une conférence Web, en passant par développer la plateforme de blogs d'un grand journal. Demain, comme je blague souvent (mais à moitié seulement), je vendrai peut-être des t-shirts ou je ferai un site de cul. C'est toute la beauté de l'éducation que j'ai reçue, m'avoir donné les moyens de me démerder aussi bien en France qu'à l'étranger. Peut-être même mieux à l'étranger, où l'on apprécie particulièrement la productivité et la capacité d'analyse des français, ce qui explique probablement pourquoi les français sont recherchés dans des domaines comme l'informatique (ça et la désaffection des dinosaures qui nous gouvernent pour ce genre de domaine technique).

Le vrai problème que je vois ici, c'est cette France bloquée dans les années 70 et sa manie de se regarder le nombril, entre chapelles et villages gaulois. À commencer par cette éternelle guerre entre l'université et les grandes écoles, et ce énième marronnier sur concours vs examens.