Quelque part entre un désordre acceptable et l’ordre insupportable

« Je vous laisse cinq minutes, pas une de plus. Pendant cinq minutes, vous bloquez la circulation, vous faites une ronde puisque c’est ce que vous voulez faire, vous chantez, vous criez, vous distribuez vos tracts. Cinq minutes pas plus, sinon ça deviendra l’affaire des CRS. Cinq minutes, c’est mieux que rien, votre manif n’est pas autorisée. Cinq minutes pendant lesquelles on va vous foutre la paix, mais on ne sera pas loin. Mais dans cinq minutes, il vous faudra libérer le carrefour. Une seule seconde en plus, ce n’est pas négociable. Ça vous va ? »
Elles se sont regardées, et ont acquiescé en souriant.
Une petite brune à grosses lunettes m’a tendu la paume de sa main et j’ai tapé dedans.
« Tope là.
- Tope là. Allez, go, top chrono. »
Elles sont reparties en courant et en hurlant, et en quelques secondes une grande ronde sautillant entre des slogans s’est formée au milieu du carrefour, et toutes les voitures se sont arrêtées et se sont mises à klaxonner.
Cinq minutes plus tard, la rue avait déjà oublié les infirmières.
Et moi j’essayais de retrouver les mots d’une phrase dont l’idée s’était répandue entre les infirmières, nous, et les voitures bloquées sur cette immense intersection.
Une phrase de flic, entendue il y a longtemps, et qui exprimait que l’ordre public se trouvait quelque part entre un désordre acceptable et l’ordre insupportable.

Bénédicte Desforges, Police : On peut toujours s'entendre.