Vote électronique, état des lieux avant les municipales de 2008

Le vote électronique est toujours aussi polémique à veille des municipales en France. Thierry Noisette parle d'un déni de démocratie, et on peut voir dans les commentaires sur la page de l'interview à quel point le sujet divise (mais les arguments des rares pour sont creux, connus et confondants d'ignorance crasse du problème et des enjeux, dans l'ensemble il y a une défiance citoyenne claire, nette et massive contre le vote électronique).

ma voix aura le dernier mot

D'un point de vue administratif, il n'y aura pas de nouvelle autorisation délivrée aux communes souhaitant passer au vote électronique avant 2009. Le périmètre ne pourra donc pas augmenter avant les élections européennes. En réalité, il va plutôt avoir tendance à diminuer, d'abord pour des raisons de coûts. Une décision rendue par le Conseil constitutionnel le 4 octobre 2007 rend irrégulière la présence de deux machines dans un même bureau de vote, ce qui a poussé le ministère de l'intérieur à envoyer une circulaire aux préfets et aux maires leur recommandant de dédoubler les bureaux de vote, l'un pour l'élection des conseillers municipaux, l'autre pour celle des conseillers généraux. Chaque bureau devant être distinct et totalement indépendant (président, assesseurs, etc.) pour éviter tout contentieux. (Le texte de la circulaire est disponible en PDF ici).

A Brest, où le maire socialiste François Cuillandre (qui semble apprécier l'opacité tant sur son blog que dans les bureaux de vote de sa ville) campe sur ses positions malgré le moratoire demandé par son parti et l'opposition de ses alliés Verts, on va bientôt sentir passer le coût élevé de la blague dans les impôts locaux, puisque la ville a dû équiper une vingtaine de nouveaux bureaux de vote en machines (à 5000€ pièce) pour revenir à la centaine qu'elle comptait avec le vote papier. A la rubrique « bêtisier du vote électronique », on remarquera la forme originale de bourrage d'urnes électroniques pratiquée à Brest, propre à renforcer la confiance de l'électeur en la modernité ;-).

A Mulhouse, les machines seront remisées pour la municipale (mais utilisées pour les cantonales, comme préconisé par la circulaire du M.I.). Deux raisons sont invoquées, d'une part le coût du doublement du nombre de machines à cause de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui interdit la présence de plus d'une machine par bureau, et l'impossibilité technique de programmer les 55 noms pour chacune des sept listes annoncées. Et moi qui croyais que, miracle de la modernité survendue par les fabricants d'ordinateurs de vote, les machines permettaient des scrutins beaucoup plus vastes et complexes que nos antiques scrutins papier. Comme quoi, le vote électronique c'est moderne... sur le papier ! (pouf pouf). Le nombre de bureaux de vote passera de 59 à 64.

A Aulnay-sous-Bois, on fera le contraire de ce que préconise le M.I, en utilisant les machines pour les municipales mais pas pour les cantonales. Le maire, qui avait promis d'attendre les instructions du ministère de l’intérieur, a finalement décidé de s'équiper de plus de machines. J'espère pour les impôts du cru qu'il les loue.

A Saint-Malo on remisera aussi les machines au placard, pour les ressortir éventuellement pour d'autres élections, syndicales ou
prud'homales. Le maire, René Couanau, évoque la prudence (il avait suspendu « l'expérience » après la pagaille du premier tour de la présidentielle) et attend l'expertise du ministère de l'intérieur. Il estime également que si la technologie est simple pour un scrutin uninominal, elle l'est beaucoup moins pour un scrutin municipal. Il évoque enfin la nécessité de doubler le nombre de bureaux de vote — car si pour lui le vote électronique peut absorber entre 500 et 600 inscrits, ça ne fonctionne plus au delà de 800 — et le problème du manque de place pour se faire.

Même position, semble-t-il, au Perreux-sur-Marne, où l'on avait également renoncé aux machines après le premier tour de la présidentielle. Chat échaudé...

P.S. Et il semblerait (d'après les DNA mais l'article est payant, si quelqu'un y a accès merci d'en mentionner les passages utiles ici) que la commune de Wintzenheim abandonne également ses machines.

Pour les quelques 77 76 autres communes utilisatrices, et indépendamment des questions fondamentales qui font que je reste absolument opposé au vote électronique en l'état de l'art, il va falloir attendre l'épreuve du feu pour voir comment les choses se passent. Outre une probable amélioration du débit (sinon ce sera la preuve que les machines sont vraiment très mal conçues d'un point de vue ergonomique), il faudra surveiller les coûts de près. En croisant ce que disent le Conseil constitutionnel et le Forum des Droits sur Internet, Thierry Noisette remarque que la subvention versée par le ministère de l'intérieur à chaque commune est de 400 euros par machine achetée (donc deux fois moins qu'en 2004), alors que « le coût d'une machine est d'environ 4 000 euros » (donc deux fois plus que le coût moyen selon l'Intérieur trois ans plus tôt). Le taux de subvention, 10%, est donc quatre fois moindre qu’annoncé. Ce sont donc les communes qui vont assumer la plus grande partie du coût de leur équipement.

On rappellera utilement aux cochons de payeurs joyeux contribuables qu'aucune étude en France ne prouve que le vote électronique rempli sa promesse d'être moins coûteux que le vote papier (les vendeurs osent même parler de rentabilité, sachant qu'ils sont bien les seuls à qui vos voix rapportent !). Chez nos voisins Belges, qui ont fini par se pencher sérieusement sur la question après 14 ans d'utilisation, on s'est rendu compte qu'en fait, le vote électronique est trois fois plus cher que le papier !

Conclusion, si les arguments sur l'absence de transparence et de sincérité du vote électronique (et de notre administration, au passage) ne vous ont pas convaincus, peut-être que l'attaque de votre porte-monnaie sera un repoussoir plus efficace. Vote électronique, le coût m'a tuer...

[Crédit image : Benoît Sibaud]