La LEN et la correspondance privée

J'ai été interpellé comme d'autres sur l'un des points de polémique sur la LEN : la disparition de la notion de correspondance privée dans la définition du courrier électronique.

Après un jeu de piste dans le dossier LEN de l'Assemblée, j'ai épluché le compte-rendu des débats de la 2ème séance du 7 janvier 2004 pour en retirer les deux échanges suivants.

Patrick Bloche (député PS, Paris -- c'est moi qui souligne) :

[N]ous avons tout de même une interrogation sur le sous-amendement n° 213 présenté par le président de la commission.

    Sincèrement, monsieur le président, vous avez présenté ce sous-amendement lorsque la commission s'est réunie en application de l'article 88 de notre règlement. Je crains que cette rédaction un peu rapide n'ait un effet explosif qui nuise à ce que nous essayons de faire collectivement ce soir. Tout le bénéfice de ce que vous avez dit pour défendre l'amendement de notre rapporteur risque de disparaître. Si vous supprimez ce simple morceau de phrase, « de correspondance privée », qui pourrait apparaître secondaire, de la définition proposée par notre rapporteur, on ne parlera que de ça demain, tout simplement parce que, aujourd'hui, l'échange de fichiers musicaux est considéré comme de la correspondance privée. Et c'est de la correspondance privée !

    Sanctionner l'échange de fichiers musicaux qui ne fait pas l'objet d'une rémunération des auteurs, des diffuseurs et des producteurs, c'est-à-dire qui a lieu dans des conditions illégales, bien sûr qu'il faudra le faire, et nous serons sans doute amenés durant cette année 2004, lorsque nous transposerons la directive sur les droits d'auteur, à sanctionner de manière spécifique ces pratiques illégales et condamnables qui menacent la création culturelle dans notre pays, mais ne mélangeons pas les débats et, surtout, n'agissons pas dans la précipitation, car tout ce que nous faisons de positif aujourd'hui risque demain, dans la lecture qui en sera donnée, de n'apparaître uniquement qu'à travers cette tentative maladroite et prématurée de vouloir répondre à une vraie question, la lutte contre le piratage sur Internet.

Réponse de Patrick Ollier, président de la commission :

    Effectivement, monsieur Bloche, nous sommes à un moment important, et la commission des affaires économiques veut justement apporter toutes les sécurités nécessaires pour répondre aux doutes, aux interrogations qui peuvent exister notamment en ce qui concerne les industries culturelles. Vous avez parlé de l'article 88. C'est vrai que nous avons travaillé jusqu'au dernier moment, car il est de notre devoir d'essayer d'apporter des réponses constructives à ceux qui peuvent douter d'une méthode de travail qui a été la nôtre, que j'ai expliquée longuement tout à l'heure, M. le rapporteur également, je n'y reviens pas.

    L'une des interrogations des représentants des industries culturelles était fondée. Ne serait-ce qu'au titre de l'harmonisation avec la réglementation européenne, il était nécessaire de répondre favorablement à la demande de ceux que nous avons reçus tout à l'heure avec M. le rapporteur [NDA : des représentants de l'industrie du disque]. Le texte tel qu'il a été rédigé avait en effet une lacune, il faut le reconnaître, et n'était pas en harmonie avec la réglementation européenne. Serait-il de bonne législation que nous ne tenions pas compte de ce qui doit, à terme, s'imposer à nous ?

    Nous avons donc déposé ce sous-amendement, comme nous nous y sommes engagés, et je propose que nous supprimions les mots « de correspondance privée », de telle sorte que nous revenions à l'essence même de la directive du 12 juillet 2002 qui précise d'une manière très claire, page 191, ce qui peut être pris en compte dorénavant par cette loi.

    Nous revenons donc à la définition européenne et peu importe que l'on ne parle que de cela demain et que la lecture des uns ou des autres soit celle que vous dites. Ce qui m'importe, c'est que nous fassions une bonne législation.

La directive du 12 juillet 2002 mentionne, en effet, la définition suivante :

"courrier électronique": tout message sous forme de texte, de voix, de son ou d'image envoyé par un réseau public de communications qui peut être stocké dans le réseau ou dans l'équipement terminal du destinataire jusqu'à ce que ce dernier le récupère.

Les deux définitions concordent bien maintenant, mais Patrick Bloche a bien pressenti le germe de la polémique dans la façon de procéder.

Toutefois, on l'aura bien compris à l'évocation par M. Ollier des protagonistes de cet amendement, il s'agit bel et bien pour l'industrie du disque de veiller à ce que la notion de correspondance privée, et la protection qui va avec, ne vienne pas entraver leurs efforts de lutte tous azimuts contre le piratage. Une fois le courrier électronique défini de manière globale et indifférenciée, et la communication en ligne encadrée dans son propre corpus législatif, quelles sont les bases juridiques restantes qui me permettent, explicitement, sans prêter à une interprétation arbitraire, d'empêcher (je prend l'exemple au hasard) une major de venir fouiner dans mon courrier personnel au prétexte qu'elle lutte contre le piratage ? Et sur quelle base peut-on faire la différence entre une correspondance privée et une qui ne le serait pas ? Quid de mes boites-à-lettres à double usage privé/professionnel ?

Je serais prêt à accorder le bénéfice du doute à la commission, MM. Ollier, Dionis et Mme Fontaine en tête qui se sont exprimés sur le maintien de la confidentialité de la correspondance privée sur Internet, si nous n'étions pas là devant un mélange de problématiques et d'intérêts douteux auxquels on répond dans la précipitation. Et devant les explications souvent fumeuses du rapporteur sur d'autres aspects du projet, il me paraît plus sage de continuer à douter du caractère innocent d'un amendement qui nous vient droit des représentants l'industrie du disque ! S'ils ont expressément demandé le retrait de la notion de correspondance privée, c'est que cette notion les gêne, arrêtons l'angélisme.

Je pense que ces mêmes personnes veilleront à ce que cette définition qui se trouve maintenant dans le projet de loi, demeure bien large et bien lisse. Le ver est dans le fruit.