Mon informatique à moi

Laurent, qui est déjà une muse pour moi, vient d'accéder au rang de madeleine de Proust avec la description de ses années Commodore. En fait, à peu de choses près et à la même époque (où je découvre qu'on a le même âge aussi), j'ai vécu exactement la même chose.

On s'est peut-être croisé au Palais de la Découverte, devant les PET CBM ou l'un des Apple II (carrément verrouillés à leur table), que je tentais d'approcher, mais à 12 ans j'étais transparent pour la meute d'habitués du lieu (il fallait que je rentre à Orsay en RER, alors je n'y allais que le week-end et je ne faisais pas la fermeture). Tout ça jusqu'au jour où j'ai découvert la boutique Tandy à Montparnasse, et ses TRS-80 en libre-service (enfin pas vraiment, mais les vendeurs me laissaient jouer avec, contrairement aux geeks boutonneux et méprisants du club informatique du Palais de la Découverte). Si j'ai découvert l'informatique au Palais de la Découverte avec le PET, je considère que c'est sur le TRS-80 (modèles I, II et III) que j'ai fait mes premières armes et la raison pour laquelle j'ai commencé à apprendre le langage machine du Z80 (une fois que je savais reconnaître mon peek de mon poke, il fallait que j'aille voir encore plus loin sous le capot).

J'ai eu la même TI-58 aussi, qu'on pouvait plus ou moins hacker si on trouvait comment faire (eh oui, pas de Google à l'époque !) et qui a fini avec la maladie des TI (elle affichait n'importe quoi à cause de court-circuits dans le clavier, de médiocre qualité). J'avais complètement oublié la Sharp PC-121x et son clone Tandy TRS 80 PC-1, en fait je me rappelle surtout du berceau dans lequel elle se connectait, et du fait que ce genre de machine était interdite au bac parce qu'on pouvait s'en servir comme anti-sèche. Pour ceux qui doutaient de l'avancée extraordinaire de la technologie, mes deux frères qui avaient passés le bac cinq ans auparavant n'avaient eu droit qu'à la règle à calcul ! Et puis un jour, j'ai enfin compris le système de la notation polonaise inverse et j'ai pu apprécier les petites bombes de chez HP (comme la HP-28S que j'ai acheté aux US après la prépa en 1986 et qui me sert toujours fidèlement bien que j'ai depuis longtemps complètement oublié comment la programmer, mais côté fabrication et robustesse c'était autre chose que les machines de TI).

Mais revenons à l'archéologie informatique de l'époque pré-PC, celle où l'on pouvait voir pléthore de machines toutes plus incompatibles les unes que les autres dans les rayons de la FNAC rue de Rennes. Lorsque mes frères ont acheté leur premier ordinateur, un DAI, ils m'ont promis de m'acheter un Sinclair ZX-81, puis un ZX-80, puis ils ont décidé que m'interdire de toucher au DAI leur coûterait moins cher (je jouais donc avec en cachette). Le ZX-81, j'ai joué avec chez un copain qui le faisait commander une sorte de robot. C'était un ordinateur facile à appréhender mais horriblement limité et contraignant (chaque commande du pseudo-BASIC était imprimée sur une touche du clavier !). Au collège d'Orsay, je me suis évidemment précipité sur le club informatique naissant qui était équipé d'un NewBrain. J'avais écris un pac-man en assembleur pour le NewBrain que le fils de la directrice était allé vendre en douce pour 200 balles au représentant à Paris (manque de pot, je le connaissais). Le club du lycée avait un Acorn BBC (mon premier vrai contact avec la famille de microprocesseurs 6800 Motorola, le 6502 en l'occurence, si l'on oublie le PET et les Apple II que je ne pouvais pas toucher plus haut). On sauvait les programmes sur des cassettes qui tenaient quelques semaines quand on avait de la chance. En tant que trésorier du BDE, j'avais dû aller défendre devant le conseil d'administration du lycée l'achat d'un lecteur de disquette, mais le néandertalien qui représentait les parents d'élèves avait dit que ça ne servait à rien et la subvention avait été refusée.

Est venu le moment (1985) où j'ai pu m'acheter mon propre ordinateur. Un samedi je suis tombé sur l'annonce du premier revendeur parisien de l'Atari 520ST, le soir même j'avais la bête à la maison (ce doit être mon premier gros achat impulsif de geek). De mon premier voyage aux Etats-Unis en 1986, j'ai rapporté 512KO de puces mémoire (en plus de la HP-28S) que j'ai soudé directement sur les puces d'origine (les barettes mémoires n'existaient pas encore, il fallait ne pas avoir peur de se servir d'un fer à souder sur une carte-mère) pour en faire un 1040ST. Je me suis vraiment amusé avec cette machine, j'ai même eu un émulateur Apple dessus (avec les ROM qu'il fallait se procurer pratiquement au marché noir ! on ne rigole pas dans le fond ;-) qui arrivait même à lire les disquettes Mac sur un lecteur standard, un véritable exploit vu le système de vitesse variable d'Apple. En 1987, au labo du CNRS pour ma micro-thèse (projet de fin d'année à l'ENSIC), j'avais fait acheter un 1040STe grâce auquel je pilotais directement ma machine de stéréolithographie (j'avais écrit le code en langage machine 68020 pour piloter les moteurs pas-à-pas et le shutter du laser, et un mini programme de CAO). J'ai gardé mon propre Atari jusqu'en 2001, date de notre dernier déménagement où Philippe, sans coeur et sans le moindre respect pour ce qu'il appelle des antiquités sans intérêt, a eu raison de moi et me l'a fait jeter. J'ai pour principe de ne rien regretter, mais là, rétrospectivement, ça fait un peu mal. Le pire, c'est qu'il fonctionnait encore plus ou moins (bon, il fallait taper un peu dessus et attendre une demi heure qu'il chauffe pour que l'image se stabilise).

Pendant ce temps, mon frère Vincent s'était équipé d'un Mac 512 (un Mac 128 avec 512KO de mémoire). Il habitait à Grenoble mais comme la chose était facilement transportable, il l'avait apporté un Noël pour le montrer à la famille. C'est là que j'ai vraiment découvert un autre univers et qu'a commencé ma love story avec le Macintosh. L'ENSIC était équipé Mac également et j'y ai vu les premiers Mac II. En 1988, grâce à ma copine californienne Lanet dont le père était le plus gros revendeur Apple de la Silicon Valley, j'en ai acheté un avec mon frère Rémy (Lanet est passée avec le carton devant les douaniers impassibles à Orly, ouf, ça nous a permis de ne pas le payer trois fois son prix avec le fameux "dollar informatique" à 15 ou 20F). Ce Mac II a connu Paris, Nancy, Nice, quatre systèmes d'exploitation (c'était le temps où Apple nous permettait de garder nos ordinateurs en peu plus longtemps), nous l'avons donné au CGL en 1997, en parfait état de marche avec le système 7, en plus d'un Quadra 650 que nous avions acheté en 1995. Dans la famille Macintosh personnels, se sont succédés le Power Mac 6400/200, le Power Mac 6500/275, le PowerBook 3400c/200, le Power Mac G3 Desktop 266 (poussé à 315MHz, que j'ai encore) et le dernier Power Mac G5 bipro 1,8GHz.

Dans des circonstances dont je ne me souviens plus très bien, j'ai eu aussi l'occasion de jouer avec les ordinateurs suivants : le Micral et le Goupil 2 (portes ouvertes à Polytechnique), le Logabax et divers Olivetti ainsi que les Thomson MO5 et TO7 (c'était la belle époque de l'ordinateur assisté par l'enseignement ;-), le Compaq Portable, le Commodore CBM80, l'Amstrad CPC464 et consorts, le Sinclair QL (le premier PC 32 bits, sorti quelques jours avant le premier Mac pour griller Apple au poteau, un vrai flop), l'ORIC 1 (le pire clavier après les Sinclair) et l'Atmos, l'Apple IIgs et IIc. Le pire c'est que je suis sûr que j'en oublie encore la moitié (j'omets les mini et grands systèmes). Et avec tout ça j'ai appris à programmer en langage machine (Z80, 6502, 68k), en Basic, en Fortran, en Pascal et en langage C (je n'ai rien compris au LISP, jamais touché à COBOL et j'ai décroché sur C++), AppleScript, j'en passe et des meilleurs. J'ai quasiment tout oublié, même AppleScript alors qu'en 1997 je devais être le meilleur expert AppleScript chez Apple en France.

Non, le pire en vérité, c'est qu'avec cette culture somme toute très partielle de l'informatique, j'ai un mal de chien à faire admettre à certains de mes collègues que je ne suis pas un informaticien. Vous le croyez, ça ?