Facebook me fatigue

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Je suis une limace sur Fesse-boucJe ne suis sur Fesse-bouc que par obligation professionnelle (comme pour beaucoup d'autres "services"), histoire de savoir un tout petit peu de quoi on parle. Mais à titre personnel, je ne m'en sers pratiquement pas et pourrais très volontiers m'en passer totalement. Je n'y ajoute comme "amis" que les gens que je connais réellement (si je n'ai pas répondu à votre invitation c'est que je n'ai pas souvenir que nous ayons gardés les cochons ensemble, ou que vous m'ayez une fois payé une bière à Paris Carnet), je ne participe que très rarement à des groupes et je n'ai ajouté aucune application (vous allez comprendre pourquoi ci-dessous). Comme vous pouvez le voir, mon historique d'invitations accumulées, et ignorées, est abyssal. Lorsque j'en parle en conférence, j'attire toujours l'attention de mes auditeurs sur les aspects chronophages et surtout inquisitoires de Facebook en matière de données personnelles et de vie privée. La prochaine fois, je pourrai ajouter le fait que Facebook vous vole et donne le cancer.

J'ai toujours perçu la stratégie de Facebook comme étant la construction de la plus grande et de la plus agressive base de données marketing de la planète. Leur développement et leur façon d'agir me confortent sans cesse dans cette idée. Tout est conçu pour vous faire "partager" le maximum d'informations sur vous et vos habitudes, avec le plus grand nombre d'entreprises via les "applications", sans compter les publicités d'autant plus rémunératrices (pour Facebook) qu'elles sont ciblées sur votre profil déclaré, observé ou supposé. D'un point de vue américain, cette idée est le Saint Graal du marketing, le Viagra Ultime qui ferait bander un marketeux mort. Mais de leur point de vue, la protection des données personnelles est un concept aussi vague qu'étranger.

Il n'existe en effet aucune loi générale (fédérale) aux Etats-Unis visant à une telle protection (ce serait même plutôt l'inverse depuis qu'il suffit de brandir la "menace terroriste" pour faire passer n'importe quelle mesure d'espionnage des individus). Sous la pression de nos amis anglo-saxons (et pas que les américains), lutte anti-terroriste et protection des intérêts des industriels du disque opportunément amalgamés, l'Europe est en train aujourd'hui de s'aligner sur une réduction de la protection de la vie privée face à la montée commerciale du numérique (et la peur des élites politiques face à ces nouveaux outils "populaires" qu'ils ne maîtrisent pas, pas encore, à leur avantage ou pour s'en protéger, mais c'est un autre débat). Face à l'absence totale de perception de ces changements par le commun des mortels, et devant l'obsolescence savamment programmée de la CNIL et d'une loi Informatique et Liberté que les pouvoirs en place n'ont eu cesse de torpiller depuis trente ans, je ne suis pas optimiste sur la survie d'une telle protection à l'échelon européen, bien au contraire.

Je ne suis pas plus optimiste concernant Facebook. Tout d'abord, ils n'ont absolument rien changé à leur façon de pousser l'inquisition toujours plus loin et plus sournoisement. Rappelez-vous l'histoire de Facebook Beacon : vous vous décidez un jour à acheter sur Amazon ce livre que vous n'osez pas demander à votre libraire, et dans les jours qui suivent vous recevez de curieux messages de vos "amis" sur Facebook qui vous demandent quelle est votre position préférée. Et vous découvrez que Facebook a secrètement passé un accord avec des e-commerçants comme Amazon pour publier sur votre profil les achats que vous faites en ligne. Sans obtenir de votre part un consentement éclairé bien sûr, n'oubliez pas que ces gars-là sont dans leur bon droit au pays du "opt out". Pas content ? Vous pouvez vous désabonner... mais après coup !

La tactique de Facebook pour introduire une nouveauté est la suivante :
  1. Changer les règles du jeu en catimini (généralement en modifiant les conditions d'utilisation du site).
  2. Si personne ne remarque rien ou ne s'insurge, cool ! (Reprendre au point 1).
  3. Si quelqu'un râle, l'ignorer.
  4. Si la polémique atteint des blogueurs "influents", faire publier un billet sur le blog d'un des fondateurs pour expliquer que personne n'a rien compris et que c'est pour votre bien, car tout le monde veut vraiment cette super nouvelle fonctionnalité très très utile (et demandée à cor et à cri par votre grand-mère et son chien qui est fan).
  5. Si trop de blogueurs influents entrent dans la danse, concéder du bout des lèvres qu'il y a un "problème de communication", en continuant de suggérer de manière méprisante que ce sont les utilisateurs qui n'ont pas bien compris, et maintenir la position avec éventuellement quelques petits changements cosmétiques pour calmer le jeu, mais qui ne remettent pas en question la monétisation potentielle de la modification.
  6. Si la polémique est relayée dans la presse, reculer et reprendre au point 1 sous une autre forme.

Cette tactique n'a pas varié d'un poil, comme le montre la dernière affaire sur l'attribution extensive et perpétuelle des droits sur vos contenus publiés sur Facebook (ou même ceux publiés sur votre propre site si jamais vous utilisez le widget "Publier sur Facebook", ce que tout le monde n'a pas vu passer). La seule chose qui a changé, c'est que le cycle prend désormais beaucoup moins de temps. Dans cette affaire, la chose qui me permet d'affirmer que les dirigeants de Facebook se foutent totalement de notre gueule (je n'ai pas trouvé de manière polie de le dire), c'est d'oser faire un parallèle avec l'e-mail en prétendant que les gens ont accepté depuis longtemps que ce qu'ils envoient par e-mail puisse être conservé et utilisé de manière perpétuelle au bon vouloir du ou des destinataires. Ce parallèle ne tient pas pour deux raisons : ce que vous envoyez par e-mail n'appartient qu'à vous et vous seul, et est du domaine de la correspondance privée, pas de la publication.

L'autre preuve à charge que la seule raison d'être de Facebook est la monétisation la plus large de votre profil, est la façon dont le design du site rend volontairement difficile la gestion du partage de vos données personnelles. Il y a par exemple eu un changement subtil qui rend plus compliqué qu'à l'origine le fait de ne partager qu'un profil restreint avec les nouveaux "amis" — par défaut maintenant, vous partagez votre profil principal, alors qu'avant il était possible en un clic de n'autoriser l'accès qu'à votre profil restreint (ça reste possible mais ça vous demandera une action supplémentaire).

Mais ce qui me fatigue le plus avec Facebook, c'est le transfert direct et opaque de mes données à n'importe qui, dont une quantité non négligeable de spammeurs patentés. Voici un exemple illustré du processus, grâce à mon ami Thierry qui semble particulièrement fasciné par toutes les "applications" qui lui passent sous le nez dans Fesse-bouc et clique un peu à tout va. (Thierry est un de mes vrais amis dans la vraie vie, alors je lui pardonne, mais imaginez ça multiplié par tous les "amis" connus ou inconnus que vous avez ajouté sans réfléchir et vous comprendrez pourquoi je mets les gens en garde sur le côté chronophage de Facebook). Ceci est par ailleurs un exemple de spam social, une sollicitation commerciale relayée innocemment par vos connaissances, une nouvelle nuisance permise par ces réseaux sociaux.

fb1.pngÇa commence par une notification rédigée de manière à vous interpeller ou vous intriguer suffisamment pour que vous tentiez d'en savoir plus. Parmi les autres notifications du même genre, et toujours aux bons soins de mon ami Thierry qui n'a sans aucun doute jamais eu conscience de polluer ses amis en cliquant innocemment sur les liens de ces applications, on trouve : « Thierry a juste posté une question à propos de Supa Kitch: Est-ce que Supa Kitch a toujours des préservatifs dans sa poche, au cas où ?? Oui ou Non. », « Thierry a juste posté une question à propos de Intoxicated Demons: Si vous êtes seul sur une île déserte, vous faire Intoxicated Demons ? Oui ou Non. », ou encore « Thierry a juste posté une question à propos de Jean Faucheur: Penses-tu que Jean Faucheur aimez les enfants? Oui ou Non. »

Au passage, si vous pensez que Facebook a été traduit en français par la même bande de singes de qui on espère la ré-écriture spontanée des œuvres complètes de Shakespeare, vous avez raison.

J'avoue que de savoir si Thierry pense que je me la pète ou non m'est relativement indifférent (message personnel : si c'est le cas tu peux oublier les achards de citron ;-p), c'est le procédé d'appel à action qui est intéressant. Si je clique sur « Cliquez ici pour en savoir plus », voici ce que j'obtiens :
Voulez-vous ajouter l'application « céder votre âme au diable » ?

Je ne sais pas précisément quelles informations seront envoyées à cette application, hormis une formulation qui me laisse à penser qu'elles seront nombreuses, ni ce qu'elle va en faire. Je clique sur le lien vers "FR 1" (un nom particulièrement informatif) et je tombe sur cette page dans laquelle je vais trouver :
  • Un forum de discussion avec cinq sujets passionnants : « jésus reviens », « les enfants », « les chéri ki sn un pe a louest defois mdr », « l avenir de nos enfants? » et « Appli bidon » (le sujet le plus éclairant je dois dire)
  • Quatre avis (mais seuls trois sont affichés), tous avec une note de 1 sur 5, pour dire que cette application est du spam ou n'a aucun intérêt
  • Un "mur" avec 25 réactions du genre « en français => DTC... en anglais => IYA !! lol », « c klr c bcp torp long c chiant » ou « c'est trop nul les question sont conne est on comprend la moitier » (tu m'étonnes, surtout si les questions sont posées par les mêmes)

Ça donne envie de l'installer, n'est-ce pas ? Tout naturellement, je clique dans la notification sur « désactiver les notifications » dans l'espoir de pouvoir bloquer ce spam. Et là, surprise, je tombe sur exactement le même écran que ci-dessus. Autrement dit, pour empêcher un spammeur de vous racoler sur Facebook, il faut d'abord lui communiquer vos informations personnelles ! C'est exactement ça, l'esprit marketing façon Facebook.

Voilà, sachant que 100% des applications Facebook que j'ai regardées sont du même acabit et connaissant la totale complaisance de Facebook à communiquer mes données personnelles à n'importe qui, vous comprendrez pourquoi je n'en ai jamais installé aucune sur mon profil. Profil que je maintiens volontairement le plus léger possible, car comme Tristan, j'ai ma petite idée sur le devenir de Facebook et de nos données personnelles.