Fumage de moquette 2.0

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D'après Eric Dupin le web 2.0 serait soluble dans la justice, laquelle vise directement « le Web 2.0 et ses caractéristiques ».

Reprenons, dans un cas nous avons quelqu'un qui republie sur son propre site via un flux RSS une information jugée diffamatoire, et pense pouvoir échapper à une condamnation en prétendant n'être qu'un hébergeur. Argument facile pour se placer sous le régime protecteur de la LCEN mais fallacieux et que le juge balayera logiquement :

Sans surprise, le titulaire du site se défend d’avoir la qualité d’éditeur mais revendique celle d’hébergeur, au sens de l’article 6.1.2 de la LCEN, en ce que « les contenus sont affichés systématiquement, automatiquement, et régulièrement mis à jour, sans la moindre décision de sa part et donc sans le moindre contrôle « éditorial » sur le contenu des informations ». Le site se présente en effet comme un « mashup » [wikipedia.org] combinant les flux RSS et diverses applications, celles de Youtube pour les vidéos ou de Flickr pour les photos.

Un systématisme et automatisme qui pèseraient peu, finalement, dans la mise en balance avec les autres critères

Le juge remarque, pour sa part, que les différents flux sont agencés dans des cadres préétablis et que le site a trait à un thème précis, l’actualité des célébrités. Le site possède, en outre, un moteur de recherche propre à la matière ainsi abordée. Voici tout un ensemble d’indices qui permet au magistrat d’évoquer les termes de « décision », de « choix » et, finalement, de « choix éditorial » qui le conduiront à retenir le statut d’éditeur.

On notera par ailleurs une conséquence pratique de l’absence des mentions légales obligatoires prescrites par la LCEN et devant identifier les professionnels sur un site web : c’est la personne physique, titulaire du nom de domaine, qui s'est retrouvée devant le tribunal et non la société pour le compte de laquelle le titulaire a réservé le nom de domaine. C'est bien beau de se plaindre que la voie amiable n'a pas été prise, encore faudrait-il respecter ses obligations d'éditeur en matière d'information des tiers.

Dans le second cas, concernant le fameux site note2be où les élèves peuvent noter leurs profs nominativement et qui vient de se prendre un joli camouflet en référé sur la base de l'atteinte à la vie privée, Eric Dupin nous fait un raccourci phénoménal : « c'est en quelque sorte le principe du contenu généré par l'utilisateur et de l'évaluation très à la mode dans les web 2.0 (notamment depuis l'éclosion de Digg) qui posent question ». Moi aussi je peux faire un raccourci du même tonneau dans l'autre sens : délation.

Alors, en résumé pour les bisounours qui vivent dans un monde parallèle, non le web 2.0 n'a jamais été un truc séparé de la vraie vie, son principe essentiel est fondé sur les relation sociales entre individus, lesquelles sont un tantinet régies par des règles de savoir-vivre, dont des règles de droit pour les dérapages préjudiciables, et la justice n'a ni cassé le jouet ni remis en question quoi que ce soit.

Donc, non, dix fois non, ces deux décisions ne remettent absolument pas en cause l'essence du web 2.0 comme le prétend Eric. Elles rappellent juste à quelques uns des règles fort bien connues depuis fort longtemps. A votre place je ne retiendrais pas mon souffle en attendant que « législateur [se penche] sérieusement sur la question et [trouve] des solutions satisfaisantes pour toutes les parties ». Le Web 2.0 n'exclut pas le bon sens.

P.S. Maître Eolas à propos de l'affaire Note2Be :

Le site Note2be, à mon avis bien content de l'extraordinaire couverture médiatique qu'il s'est offert, en rajoute une couche en criant à la censure.

Et comme nous vivons dans une société où, faisant fi de l'évidente contradiction du propos, tout le monde crie à la censure pour un oui ou pour un non, autant allez un cran plus haut dans l'analyse :

« Cette décision remet en cause le fonctionnement même de tous les forums de discussion, blogs et sites communautaires où les internautes pouvaient s’exprimer librement sur le net français. »
En fait, ce n'est pas l'idée d'une société commerciale d'attirer grâce à une controverse médiatique complaisamment relayée un large public d'adolescent (potentiellement des millions) pour vendre de la pub ciblée. Non, c'est un combat pour la liberté d'expression de tous les forums de discussion, blogs et sites communautaires sur le net français. Rien que ça.

P.S. 2 : Et la CNIL confirme l'illégitimité du site note2be par rapport à la loi informatique et libertés. J'attends maintenant que nos grands justiciers 2.0 du web vouent la CNIL aux gémonies. Comme dit l'autre, en disant des choses intelligentes, on est 14è chez wikio, pas 2è... ;-p