Serein

J'ai écouté les discours de la perdante, du prochain président et des lieutenants des uns et des autres, et ce soir j'ai la défaite sereine, comme dit gilda.

Mes lecteurs réguliers (et ceux qui savent se servir d'un moteur de recherche) savent à quel point je porte Nicolas Sarkozy dans mon coeur, ou plutôt ses actions en tant que candidat et ministre de l'intérieur. J'ai écrit que je voyais en lui un Chirac avec 23 ans de moins, en pensant à l'homme de clan et à celui qui est prêt à tout pour prendre le pouvoir. Je lui en veut pour le comportement inacceptable de son ministère et son propre silence dans le scandale du vote électronique. Je l'ai trouvé en retrait sur ses propositions en matière d'économie numérique.

Pour autant, je ne vois pas la fin du monde ce soir, loin de là. Je ne vois pas en Nicolas Sarkozy le diable, le dictateur ou toutes ces idioties de l'idéologie sectaire des militants de tous bords, où la lutte de la gauche contre la droite ressort d'une quasi guerre de religion, le bien contre le mal. Le padawan garde la tête froide, du côté de la force qui lui permet de regarder la politique en niveaux de gris, et le monde en couleurs. Et quand je parle de côté, il arrive parfois que le juste milieu s'avère l'endroit le plus intéressant pour avoir la meilleure perspective :D.

Je pense que si Nicolas Sarkozy est vraiment un Jacques Chirac en puissance, un clan va remplacer l'autre à tous les échelons du pouvoir. De bonne guerre si l'on considère à quel point ils s'apprécient mutuellement. J'ai cru entendre des gages du contraire, lui qui veut rompre avec les « mauvaises habitudes du pouvoir ancien ». De même, j'ai bien noté que Nicolas Sarkozy comptait se limiter (lui et ses successeurs si j'ai bien compris) à deux mandats. Nous verrons bien s'il résiste à la tentation infinie du pouvoir, lui qu'on dit si énervé par les contre-pouvoirs. Un autre excellent thermomètre de ses liens, réels ou spirituels, avec la Chiraquie et ses habitudes, sera son comportement au regard des affaires juridiques et des dossiers numérotés qui attendent le futur justiciable Jacques Chirac dans certains tribunaux de la République (bien que je ne me fasse guère d'illusion sur les capacités de ce dernier à protéger ses arrières jusqu'au bout).

J'ai vu ce soir un Nicolas Sarkozy apaisé, qui a réalisé le rêve de sa vie. Apaisé, émouvant presque, mais encore un peu rigide et froid, par contraste avec son prédécesseur, ce que son parcours en voiture vient encore de bien illustrer, où on l'a vu baisser et remonter sans cesse sa vitre, agitant mécaniquement le bras tout en restant rivé à son téléphone portable, le visage fermé. Il est encore loin, je pense, le temps où il prendra des bains de foule et ira tâter le cul des vaches avec la même aisance et la même gouaille qu'un Chirac. Je l'ai vu ce soir se parer sereinement d'un joli costume humaniste, mon cynisme ordinaire me disant immédiatement d'attendre voir combien de temps s'écoulera avant qu'il ne doive l'envoyer au pressing. Mais je pense que le bonhomme sait qu'il est arrivé aussi haut qu'il en rêvait et qu'il sait également qu'à partie de cet instant, il lui sera infiniment plus difficile de s'élever encore, que de s'enfoncer. Et il lui faut rééditer sa performance en 2012. Pour ces raisons, je pense qu'on va assister à une transformation singulière du personnage qui va émerger dans quelques jours de sa retraite monacale.

La suite des événements va être très intéressante, avec les législatives dans cinq semaines. Et l'affirmation de François Fillon ce soir que, oui, il y aura des ministres centristes et de gauche dans le prochain gouvernement.

Au vu de la réaction de DSK, qui tirait une gueule de six pieds de long sur laquelle on pouvait lire « bande de cons, c'est moi qui l'aurait emporté ce soir », les missiles sont déjà partis. Ils devraient commencer à pleuvoir sur François Hollande dès demain matin, et Ségolène Royal n'est certainement pas à l'abri de dommages collatéraux. Si c'est elle qui continue à représenter le P.S. à l'avenir, j'ai de très sérieux doutes sur la moindre chance de victoire de la gauche avant, hum, 2017 ?

Quant à François Bayrou, je suis impatient de voir ce que son pari « ça passe ou ça casse » (“Bet the party” diraient nos amis anglo-saxons) va donner. Je pense que sa stratégie de créer un nouveau mouvement est la seule solution qui s'offre à lui pour avancer sans les vieux croûtons de l'UDF, nous offrant quelques incertitudes passionnantes pour les législatives : que va peser le Mouvement Démocrate, que vont donner des triangulaires massives à droite partout en France ? La chance extraordinaire de l'UMP c'est que la gauche sera plus dispersée que la droite d'ici juin. Mais Bayrou a une arme extraordinaire entre ses mains, qui pourrait potentiellement conduire à une cohabitation (là c'est moi qui rêve, mais on peut, non ?).

Enfin, mais au fond de moi je ne souhaite pas le pire, le meilleur thermomètre pour juger des performances de rassembleur de Nicolas Sarkozy sera sa capacité à éviter d'avoir le record de manifestations et de grèves. Il a promis le service minimum dans les transports publics avant la fin de l'année, la rentrée va être une épreuve du feu particulièrement intéressante à observer. Qui a dit, déjà, que Sarkozy à l'Elysée c'était comme organiser un barbecue géant en plein été dans l'Estérel ?

Une chose est sûre, on ne va pas s'emmerder en politique ces cinq prochaines années !