SNCF, LCEN, et responsabilité de l'hébergeur

Publié le :

Maître Eolas[1] nous donne un éclairage juridique sur l'affaire SNCF/Typepad/Train train quotidien. Comme il se doit, le professionnel du droit nous offre une analyse technique de la loi, que le professionnel de la communication aimerait compléter car la vraie vie n'est pas le monde du droit (et réciproquement).

J'ai en son temps longuement analysé et critiqué la LCEN. Eolas, dans son billet, rappelle utilement le formalisme légal qui doit être suivi pour toute demande de suppression de contenu en ligne auprès de l'hébergeur :

La connaissance des faits litigieux est présumée acquise par les personnes désignées au 2 lorsqu'il leur est notifié les éléments suivants :
  • la date de la notification [c-à-d que la notification doit être datée] ;
  • la désignation complète du notifiant ;
  • les nom et domicile du destinataire ou, s'il s'agit d'une personne morale, sa dénomination et son siège social ;
  • la description des faits litigieux et leur localisation précise ;
  • les motifs pour lesquels le contenu doit être retiré, comprenant la mention des dispositions légales et des justifications de faits ;
  • la copie de la correspondance adressée à l'auteur ou à l'éditeur des informations ou activités litigieuses demandant leur interruption, leur retrait ou leur modification, ou la justification de ce que l'auteur ou l'éditeur n'a pu être contacté.[2]

Lorsque cette notification est ainsi faite, elle engage la responsabilité de l'hébergeur car elle établi que l'hébergeur a alors connaissance du caractère illicite du contenu incriminé. Ou, du moins, du caractère supposé illicite, selon le demandeur. C'est là où le bât blesse, car aucun hébergeur n'est en mesure de juger de la véracité d'une demande comme celle de la SNCF. Et quid de la question posée par Don Diego sur le blog d'Eolas sur les réserves du Conseil Constitutionnel sur le caractère manifestement illicite que requiert la loi, et en l'absence duquel la disposition suivante : « (...) [les disposition de l'article 6, I, 2° de la LCEN] ne sauraient avoir pour effet d'engager la responsabilité d'un hébergeur qui n'a pas retiré une information dénoncée comme illicite par un tiers si celle-ci ne présente pas manifestement un tel caractère ou si son retrait n'a pas été ordonné par un juge (...) » désengage la responsabilité de l'hébergeur, même notifié ? Tout son commentaire est à lire, notamment sa conclusion sur le caractère très loin d'être manifestement illicite du contenu en question, sur le fait qu'une notification n'établit pas le caractère illicite[3] d'un contenu mais simplement la présomption de connaissance par l'hébergeur d'un problème potentiel, et en conséquence qu'il existe un doute sur la responsabilité de l'hébergeur s'il venait à republier ledit contenu.

Voilà exactement pourquoi j'écrivais, il y a trois ans, que les hébergeurs allaient choisir le chemin de moindre risque et systématiquement abonder dans le sens de toute demande de suppression, car ce faisant, leur responsabilité n'est jamais mise en cause, même s'ils commettent une erreur. En ce sens, et je suis désolé de contredire le technicien du droit, je maintiens que cette loi est mauvaise. Et ce, même si le professionnel du droit a raison, en droit.

De plus, et là c'est le professionnel de la communication qui parle, la direction nationale de la communication de la SNCF a commis une bourde majeure dans cette histoire, qui a abouti à générer une publicité énorme pour le blog qu'elle voulait censurer (il suffit de regarder les chiffres Technorati que j'ai publiés sur cette note). Comme me le disait un éminent professionnel du monde de la publicité il y a quelques mois, le conseil qui se vend le plus cher dans la communication de crise c'est « ne faites rien ».

Les suites de cette affaire, autant la republication (ou non) par Typepad du billet incriminé, et l'attitude de la SNCF par rapport à la rediffusion consécutive des images qu'elle voulait voir disparaître seront riches d'enseignements, tant sur la LCEN que sur la modération, pour une marque, de ses critiques sur internet.

En conclusion, le droit c'est plus simple que la vraie vie. C'est pour ça que nos représentants à l'Assemblée Nationale cherchent en permanence à le compliquer.

Notes :
[1] Une fois assigné en bonne et due forme.
[2] On notera que la SNCF n'a pas respecté cette obligation.
[3] Ou, pour suivre une mode récente à royalement jouer avec la langue française, l' illicitude.