Google dévoile sa suite bureautique 2.0 professionnelle

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Google lance Google Apps Premium Edition, une suite bureautique en ligne comprenant, pour l'instant, le courriel (GMail), une messagerie instantanée (Google Talk), un calendrier (Google Calendar), un traitement de texte et un tableur (Google Document et Tableur), ainsi qu'un editeur de pages web avec page personnelle hébergée (Page Creator, Start Page).
L'offre est déclinée en une suite Standard gratuite (2GO d'espace GMail, avec pubs dans les courriels) et une suite Premium Edition à 50$ ou 38€ par an et par utilisateur (10GO pour GMail, pubs optionnelles (!), calendrier partagé et une garantie de disponibilité à 99,9% pour GMail).

Louis Naugès annonce la chose sur son blog sous forme de cocorico, et je lui tire mon chapeau pour avoir réussi à faire que plus de la moitié des premières entreprises déjà utilisatrices soient françaises ! Il cite Essilor, Médiamétrie et Nexans, mais on voit aussi le logo de L'Oreal dans l'image à côté.

L'offre de Google va s'étoffer prochainement et, pour réécrire ce que Louis dit entre les lignes de manière ironique pour ceux qui trouveront l'offre actuelle indigente, va comporter dans le futur :
- un logiciel de présentation (nom de code Presently, tout comme Writely était à l'origine de leur traitement de texte),
- une fonction graphique dans le tableur (rachat de iRows),
- un wiki (rachat de JotSpot, déjà opérationnel par ailleurs).

Il reste trois problématiques distinguant un service hébergé d'une suite logicielle installée sur le poste de travail : 1) le travail en mode déconnecté (hors du réseau), 2) l'hébergement des données sur un serveur, hors du firewall dans le cas de Google et 3) les conditions contractuelles de service.

Sur le travail en mode déconnecté, l'offre Google est pour l'instant en défaut mais la fondation Mozilla a déjà annoncé travailler activement sur ce problème, en incorporant la possibilité pour les applications web d'offrir un mode déconnecté dans le navigateur Firefox 3, attendu pour le second semestre 2007. Pour mémoire, Macromedia avait déjà un peu tâté le problème avec les dernières versions de Flash, certaines applications Flash (dites « Rich Interface Applications ») étant capables de stocker des informations sur le poste local et de se synchroniser plus tard avec un serveur.

Sur l'hébergement des données par un tiers, hors du firewall, je rejoins Louis Naugès sur le fait que Google a certainement un niveau de sécurité de ses centres serveurs parmi les plus élevés au monde, et l'offre encore plus certainement avec l'un des meilleurs rapports sécurité/prix du marché. Je le laisse par contre ironiser sur la confidentialité. Pour ma part, si j'ai une relative confiance dans le fait que des salariés de Google n'iront pas fouiner dans les données (certains le font forcément, ne serait-ce que pour développer et affiner les algorithmes qui présentent les pubs avec vos emails !), il est un fait qu'en l'état actuel de la législation américaine et de leur safe harbor, le gouvernement américain peut aller fouiner à loisir et dans le secret le plus absolu sur n'importe quel serveur présent sur leur sol. Ce genre d'intelligence (économique, parfois sous couvert de sécurité nationale) a toujours existé et continuera, et pas seulement aux Etats-Unis d'ailleurs. D'autre part, deux proches m'ont déjà fait par de leur départ de JotSpot après l'acquisition, pour la seule raison qu'ils ne veulent pas travailleur sur leur business plan web 2.0 sur un wiki hébergé par Google, et je les comprends.
Ceci dit, pour l'immense majorité des entreprises, l'hébergement proposé par Google sera très nettement plus sécurisé que ce qu'ils pourront jamais s'offrir eux-mêmes, du moins à un coût raisonnable.

Sur les conditions contractuelles de service, j'avais déjà abordé les aspects juridiques dans un précédent billet. Je n'ai pas lu le contrat de Google Apps, mais ici certains services informatiques et juridiques pourront tiquer. Les premiers sur les aspects de niveau de service (par exemple, si Google promet 99,9% de temps de bon fonctionnement pour GMail, qu'en est-il de la restauration de données en cas de problème, ou simplement de la disponibilité des autres applications ?). Les seconds sur le fait que, pour ce prix, ils n'auront rien à dire, le client devra accepter les conditions générales de ventes de Google en cliquant sur une case à cocher à l'enregistrement, et basta ! Quand je vois le boxon que ça a été dans une vie antérieure pour négocier les petites lignes du contrat avec Google (extrêmement déséquilibré en leur faveur, de mon point de vue, inacceptable du point de vue des juristes de l'entreprise) pour une appliance à 50 000 euros, ils ne vont certainement pas faire du sur-mesure pour un service à ce prix.

En résumé, une excellente nouvelle pour tout le monde (sauf quand on bosse chez Microsoft, pouf pouf ;-) dont la vache à lait est Office avec une marge monstrueuse).
Ma boule de cristal me dit que :
- certains utilisateurs vont tiquer sur le fait qu'ils ne pourront pas travailler lorsqu'ils n'ont pas accès au réseau, il leur faudra attendre un peu,
- les directions informatiques frileuses prudentes vont se réfugier derrière les aspects sécurité, SLA et juridiques pour ne pas changer leurs habitudes,
- ce genre d'outils, avec l'irruption des wiki en entreprise cette année, va montrer qu'il existe une vie meilleure en dehors du paradigme du document Office de Microsoft, et leur propagation va se faire par les individus qui les adoptent de leur propre chef pour ensuite les importer naturellement dans leurs habitudes de travail, aux côtés des outils officiels de la direction informatique,
- Enfin, on va comprendre que tout le monde n'a pas besoin de l'artillerie lourde et coûteuse que constitue MS Office. Et même pour ceux qui ont besoin de travailler avec une suite bureautique sur leur poste de travail, il existe des alternatives libres performantes, telles OpenOffice, ou la suite commerciale de Sun StarOffice (sur Mac, je ne serais pas étonné de voir Apple ressortir une suite commerciale équivalente, à un tarif plus avantageux que Microsoft Office).

Je terminerai sur la question des formats ouverts. Je crois comprendre que Google va utiliser (ou proposer en import/export) le même format ouvert OpenDocument que Open Office et consorts du logiciel libre, ce qui est également une excellente nouvelle. Car quiconque a déjà baroudé depuis quelques décennies en informatique sait comment Microsoft a abusé de subtils changements de formats, tantôt sur Word, tantôt sur Excel, tantôt sur PowerPoint, les rendant peu à peu incompatibles dans le temps, pour forcer ses clients à acheter les nouvelles versions d'Office. Je ne me rappellerai que trop bien avoir utilisé aussi longtemps que possible Word 5 sur Mac, les version suivantes n'ayant strictement aucun intérêt (avant la suite X) si ce n'est qu'il arrive un moment où vous ne pouvez plus communiquer avec les autres.

P.S. J'oubliais un autre truc de ma boule de cristal : Google va aussi fournir tout ça dans un joli serveur (appliance) à placer bien au chaud derrière son firewall, comme ils le font déjà avec leur pièce maîtresse le moteur de recherche, ça finira de convaincre les DSI qui veulent conserver leur datacenter à tout prix.