Leçons de blog d'entreprise : bloguer à froid

Dans un précédent billet sur la spontanéité j'écrivais que :
- certaines personnes, à trop être spontanées, sont bien promptes à tirer dans le tas
- les blogueurs ont la capacité à mettre à jour leurs écrits et à s'amender (ce qui me semble relever de l'honnêteté intellectuelle)
- les blogeois ont l'habitude de donner des leçons aux autres (sans toujours aimer en recevoir)

De même dans mon billet sur la viralité du net et le droit à l'oubli je soulignais que :
- publier puis supprimer un billet est considéré comme un sacrilège par certains blogueurs (ici on l'appliquera également à un commentaire)
- le droit à l'oubli n'existe pas sur internet
- tenter de supprimer quelque chose de déjà publié peut souvent empirer une situation de damage control
- il suffit de patienter un peu pour que quelqu'un écrive ce que vous vouliez dire à votre place

Le feedback de la blogosphère sur la conférence Le Web 3 illustre admirablement bien ces points et nous offre quelques enseignements sur les mérites de bloguer à froid plutôt que dans la tempête.

Une précision tout d'abord, je n'ai pas assisté à la dite conférence, c'est justement en espérant trouver des comptes-rendus intéressants sur le web que j'ai assisté à ce véritable feuilleton bloguesque. Je voulais en tenter un petit décryptage (il suffit de tirer un tout petit peu la pelote et ça vient tout seul !) mais le feuilleton n'est pas encore terminé et devient un peu lassant. En réduction, j'ai observé ceci :

  • les avis négatifs sont pratiquement tous concentrés en tir groupé, les premiers, démarrant avant même la fin de la conférence, certains des plus virulents émanant même de gens n'ayant pas assisté à la conférence mais rebondissant et amplifiant ceux des autres (on notera, évidemment, champion dans la catégorie "mets-toi un doigt", l'inénarrable Ben Metcalfe, déjà primé dans la catégorie "ça craint" l'an dernier et futur candidat à la catégorie "je hurle avec les loups")
  • il aura fallu attendre 48 heures (soit une éternité en temps blogosphérique) que la poussière se dépose avant de commencer à y voir un peu plus clair avec les premiers billets positifs ou offrant des critiques constructives. Je fais le pari que, dans l'ensemble, les avis positifs sont plus nombreux mais dans la blogosphère, pas plus qu'ailleurs, on ne parle des trains qui arrivent à l'heure
  • Loïc Le Meur ne blogue pas pendant cinq jours (un laps de temps inconcevable pour ses lecteurs, ce qui déclenche une batterie de blagues sur son enlèvement ou sa mort supposés) mais met de l'huile sur le feu avec un commentaire impulsif et injurieux envers un blogueur de TechCrunch UK, déclenchant une cascade d'événements collatéraux dont un licenciement, une démission, et une impressionnante batterie d'attaques ad hominem (ça s'engueule jusque chez La Fraise, c'est dire l'ampleur du séisme)
  • outre le licenciement de Sam Sethi par le patron de TechCrunch, une polémique naît du changement d'agenda pour faire la place à trois hommes politiques (Shimon Peres, François Bayrou et Nicolas Sarkozy). Ces deux polémiques suffisent à occulter le reste du feedback sur la conférence (on parle de 1h30 sur 18h de programmes)
  • Le même LLM, après avoir sans aucun doute absorbé plus d'informations de toute part que jamais (blogs, emails, SMS, téléphone, oreilles qui sifflent...) s'est finalement fendu de deux notes fois deux langues (français, anglais), séparant (à raison à mon avis) les explications sur l'affaire Sam Sethi et la conférence

Cette histoire est une digne candidate pour un outil qu'il me semble avoir vu à l'Up Fing 06 qui cartographie la propagation par internet de ce genre d'événement (il me semble que c'était dans la plénière sur les frontières public/privé, le cas d'école était l'histoire de la femme aux crottes de chien — si une bonne âme s'en rappelle, je la remercie).

Ce que j'en retiens :

  • la retransmission en vidéo et les comptes-rendus sur le web, c'est génial, ça permet de suivre à distance et à son rythme, gratuitement. Rares sont les organisateurs de conférences payantes qui font cet effort, et encore moins en direct live, et il faut le saluer
  • a contrario, les couvertures de la presse 1.0 sont nulles (ne ratez pas les commentaires du journaliste de LCI sur l'AFP, c'est gratiné)
  • c'est l'une des plus grosses conférences de ce type organisées en France, et si je trouve qu'il serait déprimant de penser que LLM soit le seul à pouvoir organiser ça en France, il est indéniablement capable de le faire car... il le fait ! C'était sa troisième, il a fait des progrès à chaque fois, je pense que sa prochaine sera meilleure (avec de nouvelles erreurs, et c'est très bien comme ça !)
  • c'est effectivement la fin des conférences purement centrées sur les blogs et, surtout, sur les blogueurs. Bienvenue au web et à la diversité des gens qui s'y intéressent
  • rien de nouveau dans le marketing 1.0 : la présence de sponsors sur les panels, venant uniquement délivrer leur message commercial sans interactivité avec l'auditoire, gonfle toujours autant tout le monde (et pas que les blogueurs)
  • Orange se fait laminer sur l'accès à internet (il y a de quoi méditer sur le web 2.0 et l'incapacité, fin 2006 et pour un acteur dominant, à fournir un accès internet potable dans un lieu de conférences)
  • bien rares sont ceux qui avaient déjà une opinion de LLM et en ont changé par la suite. Je ne parle même pas de ceux qui n'ont que des préjugés à son égard, et qui sont souvent les plus virulents. Je dis ça, mais j'observe de loin le Loïc que je connais et rien de tout ça ne m'a ni étonné ni fait changer d'avis non plus ;-)
  • d'ailleurs pendant que j'y suis : Loïc, il faut que tu arrêtes de n'inviter que tes copains, je sais que tu en as beaucoup mais il faut élargir le cercle de tes amis ;-)
  • l'an dernier l'auditoire était trop hétérogène (deux camps : les geeks, les non-geeks et des panels pour les uns à l'exclusion des autres, la moitié de la salle étant toujours larguée). Avec 1000 personnes et le même problème, c'est pire. Un programme hétérogène et une audience hétérogène, ce n'est pas une bonne combinaison (ou alors il faut couper tout ça en sous-groupes)
  • que des politiques se soient déplacés devant ce type d'auditoire, c'est très bien, et c'est exceptionnel. Ca permet de les voir en situation dans un contexte qui nous est proche et de sentir ce qu'ils en comprennent (de pas grand chose à rien du tout pour les français, semble-t-il). On ne peut pas sans cesse leur casser du sucre sur le dos en prétendant qu'ils sont loin de nous, et hurler au complot quand ils viennent se présenter en personne ! J'ai vu plus d'autisme chez certains blogueurs que celui reproché, au hasard :p, à Nicolas Sarkozy. On en aura plus appris sur les politiques actuels et le web, qu'en écoutant un blogueur américain parler des élections états-uniennes et le web

Et la leçon la plus importante : parfois ça vaut vraiment le coup de tourner sa souris sept fois autour du bouton publier avant de cliquer dessus...

Je m'arrête là ou j'y passe une nouvelle nuit ! Une précision cependant pour ceux qui seraient tenté d'ajouter quelque chose : ce qui m'intéresse vraiment dans cette histoire c'est la dynamique du web dans ce genre de situation. Je trouve que la polémique qui entoure la conférence sus-citée en dit plus sur les aspects de chambre d'écho et de caisse de résonance de la blogosphère que sur la conférence ou son organisateur. J'apprécierais beaucoup que vous complétiez cette réflexion dans ce sens et n'utilisiez pas cet espace pour ajouter à la polémique ou, pire, aux attaques personnelles.

P.S. et une réaction amusante des collègues américains de LLM chez Six Apart, lue sur un article du Guardian :

Mena Trott: I don't think anyone thinks that as a company we're pushing a French political agenda. Loic's a very large personality, but we trust our team members and groups to act independently.

Andrew Anker: It's a bit like a case of “we don't mind what people say as long as they spell our names right”: we don't mind what people say, good or bad, as long as they're using our tools to do it.

Bloguez, il en restera toujours quelque chose :-)

P.S. 2 : au fait, à chaque fois que Nicolas Sarkozy va faire pipi, je reçois un document Word par courriel de Véronique Waché, son attaché de presse. Mais là, rien ! Bizarre...