Pour en finir avec le journalisme citoyen

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La lecture des commentaires sur le podcast de Nicolas Sarkozy par Loic Le Meur est intéressante, même si le rapport signal/bruit est, comme on peut s'y attendre sur un tel coup médiatico-blogo-politique-business, faible.

Celui de "Numéro 2", pour moi, met en plein dans le mille sur le débat journalistes vs blogueurs (je souligne) :

Je note que de nombreux journalistes se sont empressés de tirer sur le pianiste. Je note surtout qu'ils se sont sentis soulagés : "Ouf, Le Meur enfin piégé en pleine tentative de faire comme nous !"
Je suis journaliste et pourtant, je ne me sens ni soulagé, ni furieux. Je trouve tout ça passionnant. Et rien que pour ça, je pense qu'il faut saluer la démarche. Moi je dis chapeau.
Ce que je trouve passionnant, c'est qu'il ne s'agit justement pas d'une interview. En tant que rédac chef, je sais que je n'aurais pas toléré de la part de mes journalistes une telle interview, trop complaisante. Mais on s'en fout. Ici, c'est Loïc Le Meur, blogueur et patron de Six Apart qui rencontre le ministre de l'intérieur, et ils parlent. C'est ça que j'aime bien. C'est une conversation, une rencontre. A mille lieux d'une interview journalistique (dont on voit toutes les limites dans celle publiée par Libération le même jour).
On voit bien que ce podcast n'est pas achevé, qu'il balbutie, qu'il se cherche. Il y a effectivement une nouvelle écriture à inventer: celle de la rencontre. Au delà du journalisme. Et je crois que cette expérience constitue un vrai premier pas.
Donc je dis bravo.

Numéro 2, qui est rédacteur en chef adjoint de l'édition départementale d'un quotidien régional, poursuit sur son blog :

On voit tout de suite les premières applications : l'interpellation directe par les blogueurs des hommes politiques, ou des décideurs en général, à travers leurs propres podcasts. Reste à savoir comment les médias doivent aborder ce nouvel outil interactif : l'intégrer simplement comme source d'information, mais aussi héberger les podcasts des lecteurs qui deviennent alors de nouveaux médias autogénérés dans le média...

Soucieux de réduire la fracture, les politiques, comme les industriels, se rendent compte de l'importance de l'utilisation des blogs comme medium entre eux et la population. Les blogueurs sont devenus, sinon des leaders, au moins de nouveaux relais d'opinion. Des "médias" directs dont la relative jeunesse les préserve encore des filtres habituels qui se construisent entre médias traditionnels et lecteurs.

Je pense que le journalisme citoyen est une utopie, et je trouve dommage que Loic, qui se défend clairement d'être un journaliste, entretienne lui-même régulièrement cette opposition sempiternelle et fallacieuse entre journalistes et blogueurs, ou du moins ne perde jamais une occasion de planter le fer, par exemple lorsqu'il parle avec une pointe de mépris d'une "quelconque pseudo déontologie journalistique". Il a cependant, avec tous ceux qui participent, à l'ère de la publication personnelle, à rendre les choses moins faciles et moins complaisantes(*) pour les communicants professionnels, parfaitement raison de pointer les dysfonctionnements des médias traditionnels. Mais je pense qu'on aurait tord de jeter le bébé avec l'eau du bain, et que la presse et les journalistes sont loin d'être des espèces en voie de disparition. Quant à ceux qui accusent Loic de tous les maux après ce "gros coup de pub", ce "prêt-à-penser blogosphérique", ils devraient plutôt réfléchir à la façon dont les blogs peuvent participer à la conscience politique des individus et au débat citoyen, choses qui me paraissent bien plus réalistes et plus protectrices de la démocratie que l'utopie sus-mentionnée.

Par contre, comme l'a noté le journaliste ci-dessus, ce que ce podcast démontre c'est qu'il est possible, sans les moyens ni l'intermédiaire d'une radio ou d'une télévision, de capturer et publier des témoignages ou des conversations avec des personnages de premier plan. Et bien au-delà du journalisme ou de la politique, cela ouvre des perspectives intéressantes dans le monde professionnel. Les entreprises, leurs patrons en tête, regorgent de gens qui sont plus à l'aise (ou du moins plus spontanés) devant un micro ou une caméra que devant une feuille blanche. C'est une manne pour des blogueurs pointus sur des sujets précis, dont aucun journaliste généraliste n'arrivera jamais à battre l'expertise.

Le risque évident, et ce n'est qu'une question de mois avant qu'on n'assiste à un tel incident en France, c'est qu'un personnage de premier plan se retrouve "piégé" dans un podcast embarrassant. La technologie avance toujours plus rapidement que les usages, et nous aurons, avant longtemps, l'occasion de reparler de l'évolution de l'apprentissage social et du savoir-vivre dans un monde d'ubiquité virtuelle, où l'informatique se fait objet social involontaire. Je trouve ce débat-là infiniment plus passionnant, et plus riche d'enseignements, que celui du blogo-journalisme.

P.S. (*) Les avis sont partagés. Laurent Bervas, qui a décidément l'art des questions qui tuent, se demande combien a coûté ce podcast et s'il ne s'agit pas tout simplement d'un film publicitaire à la gloire de Sarkozy. Si la publicité politique est interdite en France, voilà une méthode à analyser de plus près...