Touche pas à mon podcast

Ma simple traduction d'un manifeste de l'audioblogging a généré quelques réactions, une à laquelle je ne m'attendais pas du tout (me voilà inspirateur involontaire et jury désigné d'un concours de podcasting esthétique francophone), et une que j'attendais comme le loup blanc (sans savoir de qui elle viendrait en particulier) : le cri outragé du podcasteur blessé, ici en la personne de Julien van Caneghem de France Podcast. Je dit outragé parce que non content de me laisser un long commentaire, il l'a doublé par un e-mail pour être bien sûr que je le lise. Dont acte, je vais donc y répondre ici-même.

Ironiquement, en reprenant le manifeste de Maciej Ceglowski, j'avais commencé par traduire "audioblogging" par "podcasting". Maciej m'a justement fait remarquer que ce n'était pas la même chose, en tout cas pas la même chose dans son esprit et au moment où il a publié son texte (31 août 2004). Selon ses propres termes :

Le podcasting fait référence à du contenu audio syndiqué dans des fils RSS, et comprend des choses utiles comme de vrais émissions radio par des producteurs professionnels. Le phénomène n'existait pas à cette échelle à l'époque où ce manifeste a été publié, et mon argument n'est pas tant contre la syndication qu'il était contre les enregistrements vocaux amateurs. Donc je pense qu'audioblogging est un meilleur terme [que podcasting].

Donc, puisque mon but était de faire une traduction de l'original, et que je partage complètement le point de vue de Maciej, j'ai conservé le terme audioblogging (j'ai même conservé les références religieuses, c'est vous dire si ma traduction est fidèle). Cependant la frontière est relativement faible avec les podcasts vocaux, et Julien l'a pris comme tel en faisant une liste des dix erreurs de ce qu'il appelle lui-même un "podcast" (je continue à penser que ce n'en est pas un, en tout cas techniquement je ne l'ai pas "emballé" comme tel dans mon fil RSS). Déconstruction...

L'analyse faite dans ce podcast est très intéressante. Mais je pense qu'il s'agit d'un point de vue assez réducteur de l'audioblogging et de l'internet en général. Cela serait une erreur je pense de dire que :
1- Qu'avec les podcasts on ne peut pas être maitre de ce que l'on écoute

Ca se discute en effet, comme nous allons le voir ci-après. Cependant il est beaucoup plus facile de "surprendre" un auditeur qu'un lecteur : démonstration.

2- Qu'on ne puisse pas zapper. C'est l'intérêt du chapitrage par exemple (voir chapter tool)

Techniquement, on peut effectivement chapitrer un fichier audio ou vidéo. Mais cela demande une certaine technique et les logiciels qui vont bien. C'est plus difficile que pour un texte écrit, et combien de podcasts sont-ils chapitrés ? Une minorité, en effet. Et en transition avec le point suivant, l'auditeur avisé aura noté que les publicités ne sont jamais chapitrées, des fois qu'il nous vienne l'idée saugrenue de les zapper (certains députés étasuniens cherchent même à rendre le zapping des pubs illégal, embrayons donc joyeusement vers la notion de passivité).

3- De dire que les auditeurs sont passifs. C'est la même chose avec n'importe quel autre media ou medium. C'est juste la manière de l'utiliser et son sens critique qui fait que l'on est passif ou actif (radio, TV, journaux, blog...)

Bien évidemment je ne peux pas être d'accord avec l'idée que tous les médias sont dans le même sac, donc que blog = TV. La télévision est pour moi le comble du médium passivant (l'expression "couch potatoe", patate de canapé, en est le meilleur emblème, tout comme le fameux "temps de cerveau disponible" de M. Le Lay). Quant à la radio, je l'écoute dans mon lit ou dans la salle de bain. Je suis certes actif dans ces moments-là : je rêvasse ou je me rase ! La passivité ne s'entend pas par opposition à l'utilisation ou non de son sens critique (j'ose espérer que vous l'exercez en toutes circonstances) mais par le fait que je sois maître de ma consommation du contenu. Un journal, un livre, un blog, je peux les lire, les abandonner, y revenir, picorer comme bon me semble et à mon rythme. Une émission de radio ou de télé, c'est tel jour à telle heure, ça prend tant de temps, et si je ne suis pas disponible et que je n'ai pas la possibilité de les enregistrer, tant pis pour moi. Quelqu'un a décidé que tel sujet serait diffusé mardi à 2h du matin (parce que ça n'intéresse pas la ménagère de moins de cinquante ans et/ou que les enfants sont couchés), ou bien que puisque TF1 a programmé un super film lundi soir alors il faut impérativement que France 2 les concurrence avec une autre super-production pour ne pas perdre de parts de marché (et réciproquement). Et tant pis pour moi si ça ne me convient pas, je n'ai plus qu'à m'acheter un TiVo (un marché qui est basé exclusivement sur ce désir de contrôle, vs. passivité, de l'auditeur-spectateur, CQFD). Voilà la passivité de ces médias de masse : quelques personnes décident pour des millions d'autres où, quand, comment et pour combien de temps leur injecter tel ou tel contenu dans le cerveau (et en général ce contenu est surtout là pour décorer "utilement" les publicités).

4- On peut mettre des extraits de podcast sur son site ou son podcast et même permettre lécoute directement depuis le blog avec un player comme dewplayer.

Oui, et alors ? Pour faire des extraits de textes sur internet, il suffit de faire copier-coller. Pas besoin de player pour les lire, on peut même les imprimer pour les lire à tête reposée, déconnecté de l'ordinateur ou d'un quelconque gadget électronique.

5- Les enregistrements, il est vrai sont pour le moment invisible sur google mais des moteurs de recherche nouvel génération sont en train de sortir et ils indexent les films ou les fichiers audios. des logiciels de reconnaissance vocal vont permettre de trouver de mots clés dans les podcasts par exemple et cela permettra de les indéxer. ces moteurs vont apparaitre non pas dans 5 ou 10 ans mais dans quelques mois. Il existe même des versions bêta.

J'attends ça, cependant avec le peu d'impatience que mes 25 ans d'informatique m'ont appris à avoir. J'ai vu des démonstrations de moteurs de recherche dans les images il y a dix ans (la dernière que j'ai vu c'était Oracle il y a sept ans). Aujourd'hui on trouve quelques produits commerciaux et parfaitement confidentiels dont la fiabilité laisse encore à désirer, mais aucun produit ou service grand public. Il y a quinze ans, France Telecom avait le projet de remplacer toutes ses cabines par un modèle à reconnaissance vocale (plus de clavier ni de combiné pour diminuer les coûts liés au vandalisme), ils ont abandonné devant l'immense difficulté de reconnaître par ordinateur la seule prononciation des chiffres. Mi 2005, personne n'a encore produit un moteur de recherche textuel fiable pour les blogs. Alors même si je pense que ce n'est pas de la science-fiction, personnellement j'ai quelques doute quant à l'apparition "dans quelques mois" d'un moteur de recherche fiable dans le contenu des podcasts. Et je fais le pari que le premier prototype qui sortira n'indexera que l'anglais américain. Des catalogues par contre, il y en a déjà (iTunes pour ne nommer que celui-là).

6- Problème de surdité OK mais si vous êtes non voyant que faire des blogs. Si vous ne comprenez pas le francais, cela ne sert à rien de m'écouter mais cela ne sert à rien de me lire non plus.

Les aveugles peuvent écouter les textes grâce à des navigateurs oraux, il suffit de coder ses pages proprement en utilisant les standards web (voir la page accessibilité d'OpenWeb). Et si je suis sourd, qu'est-ce que je fais d'un podcast ? D'autre part il est assez bien connu que lorsqu'on apprend une langue, il est plus facile de lire un texte que d'écouter quelqu'un parler. Et un texte, on peut le traduire facilement et gratuitement.

7- Vitesse de lecture ou d'ecriture, je ne vois pas trop le rapport. pourquoi vouloir toujours etre plus productif ? A quoi sert donc la radio ou la télé. Quand on lit on ne peut faire que cela. Mais quand on ecoute un podcast on peut faire d'autre choses en meme temps. Ce qui permet d'avoir une meilleure productivité ;-)

Encore la confusion des genres (cf. point 3 ci-dessus). J'ai une technique de lecture ultra-rapide des textes mais ça n'a rien à voir avec une question de productivité, c'est une question de de temps, de choix et toujours cette idée de passivité. Quand j'ai le choix, je prends le texte. Devant un texte chacun peut lire à son rythme (y compris relire lentement plusieurs fois pour comprendre une idée complexe, ce qui est très difficile à faire avec d'autres supports que le texte), mais mon audioblog de l'autre jour dure 4 mn 38 secondes pour tout le monde (je suis capable de le lire attentivement en une minute dix secondes). Quant à faire autre chose en écoutant, on sait bien que les conférences téléphoniques pendant lesquelles les participants surfent ou lisent leurs e-mails sont les moins productives de toutes.

8- Le monde s'est construit par du texte, c'est complètement faux. Les troubadours du moyen age remplacé les livres. L'internet lui s'est construit c'est vrai au départ avec du texte mais pour une seule et unique raison, les débits ne permettaient pas autre chose. Aujourd'hui l'internet c'est du multimédia !!!

Complètement faux, vraiment ? Il faudra prévenir les historiens alors, j'en connais un paquet qui font fausse route depuis des siècles. Et c'est autour du texte, pas par du texte. Je crois que l'ironie du texte de Maciej a échappé à certains (cf. la référence à l'audioblog de Dave Winer, qui a débranché des centaines de blogueurs en leur laissant un simple message vocal). Oui l'internet permet de faire du multimedia, non ça ne veut pas dire que c'est obligatoirement intéressant (cf. la visite 3D interactive des boyaux de votre chat). La radio n'a pas tué le livre, la télévision n'a pas tué le théâtre et ainsi de suite (internet n'a pas tué la télévision ni le téléphone mais ce n'est qu'une question de temps ;-)). L'écrit, le texte, a des atouts que d'autres formes de communication n'ont pas. Et l'écrit sur internet, avec le lien hypertexte (tiens, il y a "texte" dans ce mot, quel hasard ;-)), a des atouts que le texte imprimé n'a pas.

J'oubliais : les troubadours n'ont pas remplacé les livres, mais ils ont été remplacés, eux, par Patrick Sébastien (et tous les historiens conviendront avec moi qu'il s'agit d'un immense progrès dans l'histoire de l'humanité :-P).

9- Mes podcasts ne rentrerons pas dans l'histoire je suis le premier à le dire, mes podcasts ne seront plus écouter dans 1 siècle mais 99,99999...% des écrits ne dureront pas non plus.

J'en doute, car le simple fait qu'il est plus facile de citer, de reproduire, de stocker et de conserver un texte, mécaniquement l'histoire retiendra plus de textes que de fichiers audio.

10- Il ne faut pas oublier que l'interet du podcasting c'est de pouvoir l'ecouter ou et quand on le souhaite directement sur son balladeur mp3. Cela veut dire en voiture dans le metro ou le bus, en vacance... Dans tous les endroits où il n'y a ni accès internet haut débit ni ordinnateur.

Là je suis d'accord et ça me facilite la transition : le podcast ce n'est pas l'audioblogging tel qu'entendu dans ce manifeste (au sens de l'enregistrement "amateur" d'une note parlée et sa publication sur un blog). Je ne dénigre pas le podcast en général, mais je pense qu'il était important de souligner les problèmes et les limites de ce genre de publication, comme par exemple la difficulté pour un auditeur de lier et de citer fidèlement un extrait dans un contenu audio, ou pour le producteur de lier vers des sources externes (c'est faisable, mais moins facilement que dans un texte publié sur le web), ou encore de mixer voix et musique. Je pense que le podcast a de l'avenir, du moins entre les mains de ceux qui en maîtriseront les spécificités et la technique. D'ailleurs le temps que j'écrive ce billet, Grey Mondain nous donne quelques conseils utiles dans un commentaire ici.

Longue vie au podcast (maintenant je la ferme et je retourne écrire ;-)).