Blogs et communication de crise

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La catastrophe qui a frappé le sud-est asiatique à la suite du tremblement de terre du 26/12/2004 donne l'occasion aux blogueurs de scruter la réactivité des acteurs concernés. Après le tsunami, la blogosphère fait des vagues dans la communication de crise des entreprises.

Reine de la Net Réalité et encore sous les feux de la rampe dans les media, la blogosphère est en première ligne dans Libération.

Loic Le Meur s'énerve du fait que le tremblement de terre a été détecté plus de trois heures avant que le tsunami ne frappe certaines côtes, puis tempère son billet avec l'amer (et dur) constat que cette région du monde n'est pas préparée, ni techniquement ni culturellement, à réagir face à une telle catastrophe. L'homme est ainsi fait qu'il n'apprend vraiment de ses erreurs que lorsque celles-ci lui font goûter d'assez près la douleur et la mort. On parie que la prochaine fois, un abonné du fil RSS de l'USGS dans tel ou tel groupe hôtelier pensera à téléphoner à ses directeurs d'hôtels sur place.

Mais c'est surtout le billet fracassant de Laurent sur les sites web des hôtels Méridien et ceux du groupe Accor qui frappe fort sur la communication de crise de certains grands groupes.

Après l’enfer de Kaoh Lak, le site français des hôtels Méridien proposait encore, le 28 à 15h, de découvrir son "nouveau paradis en Thaïlande, le Méridien Kaoh Lak" (copie d'écran). Ce soir, nulle trace de Kaoh Lak en page d'accueil, que ce soit pour vanter leur établissement paradisiaque ou pour communiquer quelque information que ce soit sur la catastrophe qui l'a frappé. Vous n'aurez pas plus de chance sur le site institutionnel du groupe Le Méridien, même en cherchant dans ses communiqués de presse, le dernier en date concernant la nomination de leur directeur général pour la Chine. Circulez, il n'y a rien à voir. Ah, si ! Le Méridien a tout de même quelque chose à vous proposer en ligne : à l'heure où j'écris ce billet soit exactement trois jours après le tremblement de terre, vous pouvez toujours participer à un tirage au sort pour gagner un séjour d'une semaine à Kaoh Lak (copie d'écran). De fil en aiguille, à partir du formulaire précité, je finis par tomber sur le site de l'hôtel Méridien de Kaoh Lak, dont la page d'accueil porte enfin une mention de la catastrophe et un lien vers une page d'information assez sobre qui donne quelques numéros de téléphone. Quel incroyable parcours du combattant pour arriver à cette simple page !

Le groupe Accor, dont l'hôtel Sofitel Magic Lagoon Resort a été ravagé, a vu son site Sofitel.com s'effondrer d'après Laurent, et arbore une mention "Tsunami in South Asia Breaking News" qui renvoie vers une sobre page d'information qui reprend le communiqué de presse émit par le groupe Accor le 28. La page d'accueil du site institutionnel Accor a été remplacée (le 28 après-midi) par une page de crise reprenant simplement deux communiqués de presse (27/12 et 28/12) et un message du président du directoire. Contrairement à son concurrent, le groupe Accor affiche les numéros d'urgence directement en page d'accueil, sans qu'il soit nécessaire de parcourir une demi douzaine de sites et un jeu concours. On peut juste leur reprocher d'avoir mis plus de 48h pour le faire.

Dans un commentaire sur le billet de Laurent, racontars écrit :

Peut-être que leur webmaster est à Kao lak...
Plus sérieusement, ces sites institutionnels sont nettement moins souples qu'il n'y paraît car ces entreprises n'investissent qu'un minimum dedans, surtout au niveau du personnel.

Ou peut-être que, dans ces grandes maisons, le webmestre n'est pas habilité à poster de son propre chef sur un tel sujet sans passer par tout le processus de communication de crise.

Quant au déficit de ressources consacrées à la vie du site web (et bien que je sois assez d'accord là dessus), je ne crois pas que le problème réside là, du moins pas fondamentalement.

Le problème de base est la culture de communication de ces grands groupes, peu réactifs, obnubilés par le cours de leur action et pour qui les relations publiques sont exclusivement limitées à une caste très sélect d'actionnaires, d'analystes financiers et de journalistes. La direction générale a rarement l'habitude de communiquer avec le client de base, et quand cette habitude n'existe pas naturellement en temps normal, elle fait très cruellement défaut en temps de crise.

Le résultat de cette culture est encore visible trois jours après la catastrophe, il est affligeant.

Nous, les internautes (et surtout les blogeois), avons tendance à nous ruer sur Internet pour chercher de l'information en quasi temps réel, et sommes prompts à fustiger les "dinosaures" qui n'ont pas cette culture. De ma propre tour d'ivoire fournie par cette vénérable institution du CAC40 qui m'emploie, j'observe se creuser le fossé entre ces deux cultures, la soif du savoir et de l'information d'accès immédiat, gratuit, permanent et universel face à la culture du secret, de l'information policée et des réseaux institutionnels.

La ligne de faille de ces deux cultures me semble être générationnelle. Quand notre génération arrivera au pouvoir (disons dans dix ans), l'appréhension (dans les deux sens du terme) du media Internet ne sera plus un facteur limitant. Alors on réalisera que le vrai problème de base, c'est tout simplement la capacité à bien communiquer partout. Les plus agiles ont déjà compris que les outils sont là et qu'il est possible de les utiliser dès maintenant, mais ils ne sont pas aux manettes des grands groupes.

En attendant, on peut compter les points sur la blogosphère :
- blogs personnels qui relatent, informent, participent à l'aide humanitaire : certainement déjà des centaines de par le monde, (voir aussi l'entrée Wikipedia, impressionnante)
- blogs d'entreprises pour informer les familles des victimes : zéro ?

P.S. la légende d'une photo en page 2 du Monde daté du 29/12 (merci Marceneiro) :
"Cette photo, prise du haut d’un immeuble et extraite d’une séquence vidéo, provient d’un « blog », un des sites personnels sur Internet qui se sont révélés les plus réactifs au drame en Asie. Nombre de « bloggers » ont instantanément mis des images en ligne qui, rachetées par les agences de presse, ont par la suite fait le tour du monde. Ces sites ont également servi de canaux pour l’organisation des secours, parfois en réaction directe aux images dramatiques qui y ont été diffusées quasiment en temps réel."