Veuillez regagner votre siège et attacher votre ceinture

"Mesdames, Messieurs, nous traversons en ce moment une zone de turbulences..."

Si vous avez déjà pris l'avion, cette annonce vous est certainement familière. Elle m'a traversé l'esprit sous la douche hier matin, et c'est par ce genre de facétie (doublée ici d'une private joke) que mon cerveau a l'habitude de regrouper plusieurs événements similaires ou concordants, en l'occurrence toute la série de turbulences personnelles et professionnelles par lesquelles je suis en train de passer. Notez que chez l'ingénieur que je suis, le mot turbulence n'a pas de connotation négative a priori, mais signale d'abord la rupture d'un équilibre et surtout le changement d'état qui doit suivre.

La seule turbulence que j'ai envie d'effleurer pour l'instant concerne ce weblogue et les doutes qu'il génère chez moi dans sa forme actuelle.

Pour mémoire, l'aventure padawan.info a démarré il y a bientôt 21 mois, en anglais. Il y a maintenant un an, après m'être défendu de l'accusation de traîtrise à la francosphère, j'ai ouvert la partie française padawan.info/fr en partant de cette réflexion :

Reste que, comme je l'ai évoqué par le passé, écrire en deux langues demande un peu de réflexion sur le contenu et l'organisation de ce site. Côté contenu, je ne peux pas tenir en écrivant chaque billet en deux langues. En fait, je ne crois pas pouvoir aborder les mêmes sujets. D'abord parce que l'audience sera forcément différente, ensuite parce que je n'ai pas (et n'ai aucune envie d'avoir) le même style dans les deux langues et enfin parce quelque chose me dit que j'aurais tendance à vouloir explorer des sujets plus proches, plus politiques, plus intimes.

Avec le recul, mon intuition s'est confirmée, j'ai naturellement pratiqué une distinction de plus en plus nette entre mes écrits en anglais, qui sont maintenant essentiellement techniques et professionnels, et ceux en français qui sont plutôt personnels. Le tout hébergé sous le même toit, ce qui a eu quelques conséquences plus ou moins heureuses. Le gros point positif a été l'augmentation du trafic (je publierai les chiffres plus tard) et le fait que tous les services qui se basent sur le nom de domaine cumulent les poids respectifs de mes deux weblogues (Technorati, Google) ce qui rend les choses plus faciles que si j'avais deux domaines séparés (c'est une chose à savoir, on a souvent intérêt à capitaliser sur un domaine plutôt qu'à diluer sa présence). Le gros point négatif, c'est que j'ai effectivement construit une dichotomie entre deux weblogues qui sont assemblés comme deux faces d'un seul site.

Ce constat posé, où est le problème ? Certainement pas dans l'expression de ma personnalité, je n'ai jamais eu l'impression de me dédoubler en écrivant dans l'un ou l'autre de ces weblogues. L'avantage d'avoir une personnalité entière sans doute. Devrais-je être gêné de publier des articles professionnels à côté de mes opinions politiques et de mes tribulations sentimentales ? A priori non, suis-je tenté de penser à mon seul niveau, mais la question commence à devenir intéressante quand on aborde la notion de contexte et qu'on ne fait pas abstraction du caractère public d'un tel site (je passe pour l'instant sur d'autres questions non moins importantes comme le droit à l'oubli face à internet).

Le contexte, c'est que j'ai mécaniquement attiré un public plutôt intéressé par les sujets professionnels sur mon weblogue en anglais, et notamment des gens qui font partie de mon univers professionnel (qu'il s'agisse du web ou de l'informatique) et qui peuvent être parfois des collègues ou des clients de mon employeur. Le public de mon weblogue français va du fan qui m'envoie des courriels d'encouragement au "capital risqueur" qui me contacte sur LinkedIn parce qu'il apprécie ce que j'écris. Un public qui est beaucoup plus éclectique, plus divers, que je n'apprécie pas moins que l'autre mais qui est très différent. Je commence à avoir un problème de gestion d'audience !

J'avoue m'être récemment et de plus en plus souvent posé la question, ou plutôt le problème, de publier un article professionnel sur padawan.info et y référer mes collègues, par exemple mon article sur les standards web en entreprise et mon weblog primer. Dans ces deux derniers cas, j'ai envoyé les gens respectivement sur OpenWeb et le Web Standards Project, ou bien j'ai diffusé l'article sous forme de fichier PDF en interne sans la moindre référence à mon weblogue. Quid de collègues découvrant le reste du site ? Je n'ai pas de réponse mais la question est bien présente. Si ça me gêne, devrais-je pousser plus loin encore la séparation et séparer définitivement le professionnel du personnel, indépendamment de la question de la langue ?

Je ne sais pas si vous voyez où je veux en venir, je n'en suis moi-même encore qu'à rassembler mes doutes et tenter d'y voir plus clair (sous hautes doses d'antibiotique et d'anti-douleur en prime, vous n'imaginez pas le temps qu'il m'a fallu pour composer ce billet aussi touffu que confus). Alors, chère lectrice, cher lecteur, puisqu'il s'agit apparemment de vous, qu'en pensez-vous ? Votre padawan, vous le voulez entier ou en morceaux ? Avant de répondre, je vous laisse apprécier ce morceau de sagesse trouvé chez Lance Arthur qui demande à son psy pourquoi il publie sur son weblogue au lieu de parler à son ami :

"Nous avons tous besoin de questionner l'univers en permanence. Certains appellent cela prière, d'autres méditation, ce sont des mots et des méthodes différents mais le but est le même. Nous n'arrivons pas à trouver seuls notre chemin, et même notre famille et nos amis ne peuvent pas nous aider. Donc nous en appelons à l'univers, la puissance supérieure, Dieu, ce que vous voulez. Et je pense que votre page web, l'acte, l'endroit, c'est votre puissance supérieure. Vous y lancez les questions et parfois vous obtenez une réponse, parfois non. C'est l'acte qui est important. Vous avez simplement choisi un Dieu vraiment unique et vraiment public à questionner."