A la limite

J'ai atteint une limite de ce weblogue ce week-end. A vrai dire, ces derniers temps, j'ai atteint une quantité de limites personnelles et professionnelles qui me feraient presque prendre Raffarin III en pitié.

La limite de cet exercice bloguesque, c'est que je ne peux pas tout dire, surtout sur le côté professionnel, du moins pas brut de fonderie. Après avoir tenté deux embryons de billets et les avoir tous deux "perdus" par la faute d'un bogue de mon logiciel d'édition (de l'acte manqué assisté par ordinateur), j'en conclus qu'il n'est ni facile ni souhaitable d'aller trop loin dans cette direction.

Mais j'ai quand même besoin d'évacuer ce que j'ai sur le coeur. Du weblogue versus le psy. Amie lectrice, ami lecteur, rassurez-vous, je ne vais pas vous faire du Labro -- je pourrais mais je n'ai pas de thérapie à rembourser, ni d'éditeur à engraisser.

Depuis bientôt un an et demi, ce weblogue a joué pour moi un rôle très positif. D'aucuns y voient un côté routinier, astreignant, difficile. Pour moi ces contraintes m'ont permis de m'échapper, un tant soit peu, d'un environnement déprimant et toxique. Et je n'oublie pas, bien sûr, toutes les récompenses que j'en ai retiré et qui sont comme autant de cerises sur le gâteau : le dialogue, le débat et la contradiction, la découverte des autres, de nouvelles amitiés, retrouver le goût -- et le plaisir ! -- de l'écriture. J'en oublie forcément.

La première fissure visible de l'édifice est apparue deux jours avant mon anniversaire. Je me suis fait un week-end crise de la quarantaine à déprimer un président de région socialiste. Deux jours à Londres et un nombre raisonnable (selon le standard anglais) de pintes de bière avaient ensuite servis de couvercle.

La seconde fissure est professionnelle. La déprime du secteur informatique amorcée il y a trois ans, l'accumulation de travail liée à une constante réduction de mes ressources, mon équipe divisée par trois, et six ans dans le même service à pousser les murs et les limites de ma fonction, tous ces facteurs m'ont poussés à bout, au bord de l'épuisement physique et moral. Ces trois derniers jours, samedi, dimanche et lundi de Pâques, j'ai dû travailler en continu à l'exception de deux sorties de quelques heures. Mercredi prochain, c'est pratiquement nuit blanche garantie (ma boite change de nom jeudi). J'ai 17 jours de congés à prendre avant le 31 mai et voilà que même mes fournisseurs se liguent pour m'interdire de les prendre ! Quand je dis que mes fonctions officieuses sont "webmonkey, chaos manager and corporate emergency hologram" mes interlocuteurs rigolent. Sauf que ce n'est pas une plaisanterie et que "le webmestre qui se sent comme une page XHTML sans feuille de style" en a marre de la culture du chaos, de l'urgence et du système D, même s'il est passé maître en la matière.

La troisième fissure est sentimentale. Mardi dernier, dans ce qui semble être soit de la prescience soit une coïncidence pathétique, en évoquant la relativité du temps et la rupture, je me demandais comment je réagirais dans un tel cas. Samedi, j'ai su que je réagirais mal.

J'emploie le conditionnel à dessein. Le coeur qui saigne, aussi, pas encore brisé. Samedi, l'homme pour qui j'ai eu le coup de foudre il y a quinze ans, et que j'aime aujourd'hui plus encore que jamais, m'a annoncé qu'il ne savait pas s'il m'aimait encore. Samedi, les vannes se sont ouvertes et le ciel m'est tombé sur la tête.

Avec le recul, au moment où j'écris ces lignes, je ne sais pas comment j'ai fait pour résister à tout ça. Je ne sais pas non plus comment je vais m'en sortir, mais il clair que je n'ai guère d'autre choix que de changer, briser les barrières que j'ai contribué à créer pour la plupart, et m'éloigner de ce qui est, je crois que ce sont vraiment les termes, toxique et déprimant.

Sur l'âge, je dois me faire une raison. Je vieillis, et j'entre dans cette période grise où l'on n'est plus vraiment jeune et pas vraiment vieux. L'âge où il faut prendre les commandes, parce qu'à défaut d'aimer ça, on peut au moins en profiter pour faire chier aussi bien les jeunes que les vieux :-p. Et faire du sport, plutôt qu'aller me faire dégoupiller les vertèbres tous les deux ou trois mois.

Professionnellement, j'ai un projet énorme sur les bras qui, s'il arrive à la hauteur de mes espérances, devrait pulvériser le mur devant moi. Si ce n'est pas le cas, et que les deux autres murs s'obstinent à ne pas bouger, il y a une porte sur le quatrième. J'avais toujours refusé de stagner auparavant, je n'ai aucune raison d'accepter de stagner maintenant.

Quant à l'amour, c'est un jeu qui se joue à deux. Nous avons l'un et l'autre des questions auxquelles nous ne pouvons répondre seuls. J'ai envie d'y répondre, et à bien d'autres encore, j'ai envie de quinze nouvelles années, de trente... J'espère que cette envie sera partagée. Aujourd'hui, je ne le sais pas.

Si ce qui ne me tue pas me rend plus fort, je devrais bientôt pouvoir soulever des montagnes.

Mais avec des si...