Bienvenu à Gattaca

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Si vous avez classé Bienvenu à Gattaca dans la catégorie science-fiction, vous avez tout faux.

J'ai toujours eu une certaine appréhension du passage au contrôle d'immigration Etats-Uniens. Depuis le 11 septembre 2001, cette appréhension n'a fait que croître.

Bien sûr, je me suis habitué aux questions surprenantes du type "êtes-vous venu ici pour assassiner le président ?" ou délicieusement archaïques comme "avez-vous déjà songé à voter communiste ?". J'ai vécu plusieurs changements de régime, visa, pas visa, visa, pas visa... Je me souviens du formulaire de demande de visa de 1986 qui devait couvrir facilement trois feuilles A3 recto-verso avec des questions portant sur trois générations, et qui n'était que d'un cheveu seulement moins complexe que l'habilitation confidentiel défense. Heureusement que le visa, durement quémandé, était permanent (enfin, c'est ce qu'ils disaient, un agent de l'immigration me l'a sauvagement arraché du passeport en 1999).

Ce à quoi je ne me suis jamais fait, c'est le mini interrogatoire. D'abord le cheminement en rang d'oignon, si soigneusement organisé qu'il donne au français, habitué à faire la queue dans un joyeux bordel, le sentiment d'être une bête qu'on conduit à l'abattoir.

-- "Next!" aboie le garde-chiourme.
-- "Don't cross the yellow line!" (je me suis toujours demandé quelle était la punition pour ce qui ressemble à un crime fédéral).

Cette queue, mes amis, est une torture pour tout français normalement constitué. Ensuite, l'interrogatoire lui-même. On ne sait jamais sur qui on va tomber ou les questions qui seront posées. Bien sûr, maintenant, je n'ai plus la trouille de bafouiller une connerie dans un anglais approximatif, mais tout de même. Certains agents ont le don de rendre l'épreuve désagréable, en étant aussi aimables qu'une porte de prison, limite agressifs. Une chose qui me poursuit depuis six ans est la sempiternelle question sur ma profession. Le scénario est toujours le même :

-- What business are you in?
-- I'm a webmaster.
-- You're what?
-- I manage web sites for my company.
-- You do what?
-- I design web sites.
-- Oh, OK.

Apparemment, il est inconcevable qu'on puisse gérer des sites web, tout au plus peut-on en créer. Je savais bien qu'il fallait faire dans le jetable.

Mercredi était mon premier voyage à New York depuis le 11 septembre 2001 et je me suis demandé si les contrôles avaient pu devenir pires qu'avant. Oui et non. Les questions sont restées les mêmes, posées par des agents ni plus ni moins sympathiques qu'avant. La différence est que, désormais, chaque passager muni d'un visa doit se soumettre à deux prises d'empreintes digitales (une à chaque main) et une photo de face. Ces informations biométriques sont immédiatement comparées à celles stockées sur le passeport afin de vérifier que son porteur est bien celui qu'il prétend être. Les français ont encore la chance d'y échapper, mais ce n'est que partie remise puisque ce système devait nous être appliqué à partir d'octobre dernier et a été reporté pour cause de précipitation unilatérale des autorités américaines.

Je me suis dit en voyant ça que la seule chose qui nous sépare de Bienvenu à Gattaca c'est qu'on n'a pas encore la technologie pour prélever une goutte de sang et en déduire l'identité d'une personne en une seconde. Mais le jour où ce sera possible (et je suis persuadé que ce jour viendra puisqu'on sait prendre et mesurer des empreintes génétiques), beaucoup trouveront la méthode plus "pratique" que ce nouveau gadget orwellien.

Nous vivons une époque moderne, comme dirait l'autre.