Pas de campagne, pas de bulletin

D'après un sondage Louis-Harris-Libération-AOL publié hier par Libération, 64% des Français se disent peu ou pas du tout intéressés par la campagne électorale des régionales, contre 36% qui formulent un avis inverse.

Si j'avais été interrogé pour ce sondage, j'aurais répondu "quelle campagne ?"

Encore une fois, on assiste au développement de ce nouveau mal politique français : la suppression des campagnes électorales au profit d'une mascarade anémique orchestrée par de soi-disant spécialistes de la communication, menée aussi près de l'élection et aussi loin de l'électeur que possible, histoire de ne pas se montrer, peut-être pour ne pas avoir à trop promettre pour certains ou montrer qu'on n'a rien à dire pour d'autres.

J'ai pris conscience de l'aversion de plus en plus marquée des hommes politiques pour le débat il y a plusieurs années, avec la suppression de toutes les émissions de débat politique dans le PAF. Depuis on a retrouvé quelques programmes, comme 100 minutes pour convaincre mais qui, s'ils sont souvent intéressants, restent nettement moins fertiles en débats contradictoires.

Le vrai choc a été, évidemment, l'élection présidentielle où les deux prétendants "sérieux" au trône ont tout fait pour s'éviter. La suite, tout le monde la connaît, je suis persuadé que l'absence de campagne a été la cause directe du 21 avril. Et la campagne pour l'élection des députés n'a pas racheté la présidentielle. Le programme du P.S. était tellement court qu'il tenait sur une feuille A4 en corps 24 et le mot Europe n'y apparaissait même pas.

François Mitterrand avait publié 110 propositions pour sa campagne de 1981. Sans prétendre que c'est le modèle idéal, avouez qu'entre ça et un programme qu'un gosse de cinq ans pourrait écrire au feutre sur une feuille de papier toilette, il doit sûrement y avoir un juste milieu ! Et les débats entre candidats, comme les joutes savoureuses Mitterrand-Chirac ? Terminés. Circulez citoyens, il n'y a rien à voir. Merci d'aller voter tout de même, vous serez gentils.

Pour en revenir à la campagne des régionales, les seules traces que j'ai pu en apercevoir à Paris sont deux tracts dans ma boite-aux-lettres : celui de Le Pen fille dans son style habituel deux-en-un (La nausée et Les mains sales), et celui d'André Santini qui, et ça ne me sort pas facilement de la plume, est nettement plus convaincant que la moyenne. A 32 jours du premier tour, je n'ai pas la moindre idée du programme de Jean-Paul Huchon, le président sortant. Certes, en cherchant un peu je peux le trouver en ligne le cru Huchon 2004. Mais, et ça ne me fait pas moins mal, il fait bien pâle figure devant le smiley de Santini. Heureusement que je ne me déterminerai pas sur leur présentation respective, car la comparaison des programmes, entre la page où l'on doit chercher où se trouve le lien vers le document PDF (avec un infâme "cliquez ici" du plus mauvais goût) et celle où l'on découvre le projet directement en un clic depuis la page d'accueil, montre qu'on a candidat qui mérite sa réputation de "branché" face à un autre qui a dû laisser ça à des gens qui ont une conception du web qui date du siècle dernier.

Il est trop facile d'imputer aux affaires politico-judiciaires la désaffection des français pour la chose politique. Au risque de grossir le trait, je rejoindrais Bayrou sur l'épiphénomène Chirac. On n'a certes jamais connu un tel paroxysme dans les affaires et un tel mépris pour la justice de la part d'hommes politiques, mais la Chiraquie concentre à elle seule plus d'affaires que l'ensemble du reste de la classe politique réunie. Chirac -- dont je ne sais s'il est plus proche du cimetière que du prétoire -- finira par disparaître et, avec lui, l'appareil qu'il a construit pour lui seul, à la seule fin de se hisser au sommet de l'Etat. L'UMP ne lui survivra pas et j'ose croire que je verrai la fin de cette branche pourrie de la politique française.

Non, la vraie cause du désintéressement des français pour les élections, c'est qu'ils sont moins cons qu'une grande partie de la classe politique voudrait le croire et qu'il leur en faut plus que quelques tracts jetés dans une enveloppe et envoyés trois jours avant le scrutin pour aller voter. Pas de campagne, pas de bulletin. C'est tellement simple que ça doit faire partie du b-a-ba politique, mais on a dû oublier de le dire aux candidats.