Non, je ne suis pas un traître

Me voilà donc, au beau milieu du gratin de la blogosphère francophone réunie mercredi à Paris, traité de traître à la francophonie parce que j'écris essentiellement en anglais sur ce carnet.

Outre les fleurs ci-dessus et d'autres ici par François Hodierne (qui ne m'en veut pas tant que ça finalement), ce qui m'a le plus interpellé mercredi est cette remarque de Laurent me disant que d'écrire en anglais me marginalise.

Bin fuck alors !

Il m'a fallu un certain temps pour digérer cette idée que d'écrire dans une langue que peu ou prou quelques milliards d'individus (et leur chien) comprennent puisse me marginaliser plus que d'écrire dans une langue, fût-elle de Molière, comprise par quelques centaines de millions d'individus (et Milou). Et je n'en étais pourtant qu'à ma première bière.

J'avais déjà eu des états d'âme auparavant (ici et ici) mais je n'ai pas poussé l'introspection assez loin pour résoudre une question qui est moins simple qu'elle n'y paraît.

Le choix de l'anglais comme langue principale de mon premier site personnel s'est imposé à moi, au premier abord, comme le plus facile. Il y a quinze ans, j'étais nul en anglais et je n'avais pas voyagé plus loin que l'Italie. Il y a dix ans, moment où la langue de Shakespeare est devenue ma langue de travail, j'étais vaguement moins nul et j'avais découvert les Etats-Unis et quelques uns de ses habitants. Aujourd'hui je suis bilingue à force de lire, d'écouter, de parler, de penser, de rêver et évidemment d'écrire en anglais quasi quotidiennement. J'ai travaillé pour quatre entreprises internationales, mon poste actuel m'a permis de découvrir plus d'une vingtaine de nationalités et de voyager plus. La dernière chose que je voudrais, sur un plan professionnel, c'est revenir à un poste franco-français.

J'ai ruminé pendant des années l'idée d'avoir un site web personnel. Pensez, un webmestre sans site ! Lorsque j'ai découvert les weblogs, je suis resté longtemps au bord de la piscine, j'ai observé, tâté la température pendant des mois. Avant de plonger, j'ai pris deux résolutions : j'irais dans le grand bassin et j'essaierais de ne pas en ressortir tout de suite sous prétexte que c'est trop froid ou que j'ai peur de m'y noyer. D'aucuns trouveront ça présomptueux, pour moi c'est la combinaison de plongée qui me permet de faire plus que toucher du doigt tel ou tel logiciel ou service et de prétendre savoir ce que blog veut dire. J'écris pour être lu, pour construire une audience avec l'espoir qu'elle ne vienne pas là par hasard. Mais surtout, j'écris sur un blogue, avec commentaires et rétroliens, pour engager la conversation avec ce monde qui m'intrigue et que je veux mieux comprendre.

Dans cette optique, il y a quelque chose d'ironique dans ce que Laurent a évoqué : la barrière de la langue. Pour moi, vis-à-vis d'une audience internationale, c'est le français qui serait une barrière. Pour lui, c'est évidemment l'anglais qui ferme la porte aux francophones non anglophones (j'allais écrire exclusifs, ce qui n'est pas, non plus, sans une certaine ironie). Et j'en conviens bien volontiers, car j'aime le français. Mais j'aime aussi l'anglais, comme aimer Paris ne m'empêche pas d'aimer San Francisco.

Reste que, comme je l'ai évoqué par le passé, écrire en deux langues demande un peu de réflexion sur le contenu et l'organisation de ce site. Côté contenu, je ne peux pas tenir en écrivant chaque billet en deux langues. En fait, je ne crois pas pouvoir aborder les mêmes sujets. D'abord parce que l'audience sera forcément différente, ensuite parce que je n'ai pas (et n'ai aucune envie d'avoir) le même style dans les deux langues et enfin parce quelque chose me dit que j'aurais tendance à vouloir explorer des sujets plus proches, plus politiques, plus intimes. Côté design, il me faudra encore trouver comment faire cohabiter les deux univers de façon complémentaire. En attendant, je ne resterai pas en apnée au fond de la piscine, alors ne retenez pas votre souffle, parce que ce n'est pas pour demain matin.

Traître ! Et puis quoi encore ?