Programme TIC des candidats, suite

Grâce à Netpolitique, j'ai pu poser une question sur le programme TIC de Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy, vous pouvez lire la question et leur réponse ici. Vu le peu de temps qui reste avant le second tour, je ne vais pas me lancer dans une analyse détaillée de leur programme complet, mais entre les deux réponses, mon coeur ne balance pas, voici pourquoi.

Ma question pouvait se résumer à la dernière phrase : « Alors qu'il est aujourd'hui facile, et souvent plus intéressant, d'aller démarrer ou déplacer son activité de service en ligne à l'étranger, que comptez-vous faire pour que la France soit parmi les pays les plus attractifs pour la création et le développement de l'économie numérique ? » mais j'avais tenu à en préciser le contexte, et ce qui me préoccupe dans la politique aujourd'hui vis-à-vis d'internet : « un retard par rapport au droit européen, une tentation de contrôle total et permanent, un biais en faveur de grandes entreprises et d'acteurs historiques au détriment de nouveaux entrants, une méconnaissance d'internet et de la place toute relative de la France dans cet espace mondial ».

Ce constat est né des enseignements que j'ai pu tirer de mes analyses de la LCEN (41 billets), de la loi DADVSI et de mon expérience de veilleur et professionnel d'internet. Eplucher les débats des deux chambres a été très instructif pour moi sur les approches respectives de la droite et de la gauche vis-à-vis d'internet, et sur les bienfaits du débat public, surtout en dehors du parlement. Voici quelques clés de lecture à l'appui de mon constat :
  1. un retard par rapport au droit européen : il est de notoriété publique que le France est régulièrement retoquée, et parfois condamnée, par les instances européennes pour le retard régulier qu'elle prend à transposer dans son droit national les directives de l'UE. Tel a été le cas, par exemple, de la directive sur la protection des données personnelles. Ce retard n'est pas l'apanage d'un parti ou d'un autre, cette mauvaise habitude semble profondément ancrée chez nos parlementaires. Ce que j'ai découvert, avec déplaisir, c'est que ce retard sert souvent d'excuse pour passer des lois en urgence et ainsi couper court au débat, au prétexte qu'on n'a pas le choix, sinon la France risque une amende. C'est tout simplement honteux. L'Europe étant la grande absente de cette élection, on ne s'étonnera pas outre mesure qu'aucun des deux candidats n'a mentionné ce problème.
  2. une tentation de contrôle total et permanent : je base ce constat sur ce projet de décret que le gouvernement prépare en douce et qui a poussé le président du GESTE et le patron de Gandi à dire tout le mal qu'ils en pensent. Maurice Ronai ne s'y est pas trompé et fait référence à ce même décret. La réponse d'Eric Walter ne me satisfait évidemment pas lorsqu'il esquive par le mythe ridicule d'internet « espace de non-droit ». Internet n'est pas, et n'a jamais été, un espace de non-droit. Mais il ne doit pas devenir un espace où l'Etat s'arroge des pouvoirs exorbitants pour une démocratie. Je rappelle, à toutes fins utiles, que Nicolas Sarkozy 1) a été le patron d'un ministère qui exige à la fois une opacité totale sur son (dys)fonctionnement interne et une transparence totale des citoyens sur un espace de communication à la fois privé et publique, et 2) a des méthodes ou des fournisseurs qui font facilement fi de la loi. Zéro pointé de ce côté là pour Nicolas Sarkozy !
  3. un biais en faveur de grandes entreprises et d'acteurs historiques au détriment de nouveaux entrants : comme beaucoup, j'ai été choqué par l'épisode du DADVSI Code (magnifique titre !) et la collusion entre le ministère de la culture et les grands groupes de musique. Mais je n'oublie pas non plus combien la gauche a traîné des pieds pour abattre le monopole de France Telecom (et me permettre aujourd'hui de surfer à plus de 128kbps pour moins de 50€ par mois, et de téléphoner à peu près partout dans le monde gratuitement). Aucun des deux candidats ne remet en cause le constat que ce sont les startups et non les grandes entreprises qui innovent sur internet, mais la réponse de Maurice Ronai me paraît plus solide, et surtout etayée. Eric Walter me parle industrie logicielle et jeux vidéos, je vois mal le rapport. Les deux candidats proposent un dispositif de type « Small Business Act » qui peut s'avérer intéressant, tant les collectivités locales se font parfois plumer par les grosses entreprises. Avantage pour moi à Ségolène Royal.
  4. une méconnaissance d'internet et de la place toute relative de la France dans cet espace mondial : ça peut paraître dur mais c'est vraiment ce que je pense, j'ai même lancé la première Google bomb française à cause de ça. Et qu'Eric Walter ne voit pas où est le problème avec le projet de décret de surveillance sus-cité, et de l'exode promis de Gandi ou du fait qu'il deviendra instantanément plus intéressant d'aller héberger ses serveurs ailleurs qu'en France, me renforce dans cette idée. Pour l'anecdote, il se trouve que mon député est Patrick Bloche (P.S.) et que j'ai eu l'occasion de le voir à l'oeuvre sur plusieurs dossiers internet sur lesquels il a montré qu'il maîtrisait très bien le sujet, et infiniment mieux que leurs rapporteurs. Avantage très net pour moi au P.S. (là je pense aux législatives, pas à Ségolène Royal en particulier :D). Un autre exemple : j'avais donné à Netpolitique une question subsidiaire au cas où, qui était « garantirez-vous la neutralité d'internet ? » et je constate dans la réponse de Maurice Ronai que ça fait partie du programme de Ségolène Royal (je ne connais pas la position de Nicolas Sarkozy sur ce point).

En complément, je vois que dans la réponse d'Eric Walter, Loïc Le Meur retient l'exonération de charges fiscales et sociale d'une activité internet personnelle. Il aura l'occasion de m'expliquer la prochaine fois que je le verrais ;-), mais autant je vois à quoi Loïc fait référence en mentionnant eBay, autant j'ai du mal à lire quelque chose de concret dans la réponse tellement elle reste floue (les jeunes seulement, des limites à définir...). Mais surtout, je me demande quel impact concret une telle mesure pourrait avoir, sachant que personne dans ce pays ne doit s'embêter à déclarer les revenus tirés de ventes sur eBay ou de publicités sur internet. Quand j'étais jeune, il ne serait venu à l'idée de personne d'aller déclarer les revenus tirés de ventes personnelles, de type marché aux puces par exemple, et je suis prêt à parier que ça ne changera strictement rien à l'état actuel des choses, ni pour le budget de l'Etat (donc ça ne coûte rien) ni pour les particuliers (donc ça ne favorise rien de plus). Ca sent un peu trop la mesurette poudre aux yeux, en tout cas je n'y lis pas que « chacun pourra se lancer dans une activité internet sans aucune contrainte ». Ou peut-être, comme dit l'adage, je dois être trop vieux pour ces conneries ;-).

En conclusion, pour ce qui est du développement économique d'internet, mais également de la défense des libertés publiques sur ce média, il n'y a pas photo pour moi, c'est Ségolène Royal qui l'emporte. C'est en particulier ce dernier point qui plombe Nicolas Sarkozy de mon point de vue, sa vision de l'Etat policier s'étendant partout et trop loin. Et son bilan et ses responsabilités vis-à-vis du scandale du vote électronique, sujet sur lequel il est le seul candidat à ne s'être jamais exprimé (et on comprend facilement pourquoi, en tant qu'ancien patron de la place Beauvau), ne sont pas non plus pour rien dans ma défiance à son égard.

Plus de lecture sur le sujet :
- Ligue Odebi : « Libertés sur internet : bilan du quinquennat »
- « Internet et Libertés : le rapport censuré qui met Sarkozy à l'amende »
- Logiciels Libres et Libertés numériques Réponses des candidats au questionnaire et aux propositions de l'April (Nicolas Sarkozy ne s'est pas prononcé sur les propositions)