Nofollow : suivre ou ne pas suivre

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L'attribut de lien nofollow nouvellement introduit par Google et consorts (explications pour geek, traduction pour neuneux) fait partie de ces sujets qui ne peuvent provoquer qu'une réaction pavlovienne de la blogosphère : la polémique !

Nous avons ici affaire à une polémique inflammatoire geekoïde endoblogosphérique, a priori bénigne. Je m'explique. On peut observer trois groupes : les pour, les contre et une immense majorité de gens qui s'en moquent royalement parce que c'est un truc de geeks (ce dont la plupart des gens qui sont dans les deux premiers groupes n'ont pas conscience). Les deux premiers groupes sont composés quasi exclusivement de blogueurs, les autres étant des spammeurs ou des vendeurs de cuisines reconvertis dans le référencement dans les moteurs de recherche (eh oui, quelques uns ont malheureusement survécu à l'éclatement de la bulle). Pour le troisième groupe, il s'agit d'une tempête dans un verre d'eau.

J'ai parcouru le web en long en large et en travers, et je n'ai encore vu nulle part un argument qui pourrait me convaincre que l'attribut nofollow est mauvais en soi, ni qu'il n'aura aucune influence sur le spam de commentaires. Dans le camp des contre, j'ai surtout parcouru des kilomètres de FUD (Fear Uncertainty and Doubt : peur, incertitude et doute). Plus je lis les avis ici où là, plus je suis convaincu que la plupart des gens qui sont contre sont simplement victimes de leur résistance au changement, de la confusion qu'ils font entre le web dans son ensemble et la vue que Google leur en présente et enfin de leur incapacité à raisonner au-delà du court terme. Voici une compilation, certainement non exhaustive, des arguments qui reviennent de manière plus ou moins récurrente et mes réponses.

Il n'y a pas eu de discussion avant que Google et ses amis n'imposent ça au monde entier.

Comme le dit Jay Allen, je ne sais pas sur quel internet certains sont branchés. Des centaines de personnes ont discuté de ce problème depuis des années, notamment sur le constat que le spamming de commentaires prend sa source dans le fait qu'il est possible de manipuler le PageRank de Google très facilement. Comme Derek Powazek, je pense qu'il appartenait à Google de faire quelque chose pour rendre son système moins vulnérable, du moins d'en offrir la possibilité à ceux qui ont le contrôle sur le contenu de leur site. Je souhaitais même un peu plus de contrôle, comme Brad Choate.

Il y a de meilleures méthodes contre le spam, il suffit de placer un CAPTCHA dans le formulaire de commentaire.

J'ai lu cet argument à peu près partout. Pour moi, dans cette discussion, c'est un peu l'équivalent du point Godwin, je n'ai plus envie de lire le reste de l'argumentaire. L'invocation du CAPTCHA montre seulement que le commentateur est à court d'arguments ou ne sait pas de quoi il/elle parle, ne connaît pas les problèmes d'accessibilité que cela pose, ni le fait que ce système est déjà facilement contourné par les spammeurs (voir Wikipedia à ce sujet). Remplacez CAPTCHA par filtre bayésien, listes noires, filtrage, modération, etc. S'il existait déjà une méthode efficace et universelle contre le spam de commentaires, ça se saurait depuis longtemps. Je ne parle pas de la recette que vous avez appliquée sur votre propre blog, j'en ai une moi-même qui me protège du spam automatisé depuis de longues semaines, ces recettes restent vulnérables et ne diminuent en rien le flot de spam que mon serveur et le vôtre reçoivent tous les jours.

Les spammeurs cherchent du trafic, ils continueront de spammer pour placer des liens pour qu'on clique dessus. Et si les spammeurs ne peuvent plus jouer sur le positionnement de leurs sites, ils vont spammer de plus belle tous les blogs pour jouer sur les clics.

Personne, absolument personne du côté de Google et consorts n'a jamais prétendu que l'attribut nofollow allait être la seule et ultime arme contre tout le spam. Le consensus est cependant très large pour estimer que les spammeurs font ce petit jeu pour abuser les moteurs de recherche, car leur trafic provient en priorité de ces moteurs, pas des clics au fin fond de pages de commentaires de blogs. Regardez le type de spam que vous recevez et demandez-vous si vous cliqueriez sur les liens qui y sont. Tels qu'ils sont conçus aujourd'hui, ces commentaires sont là pour augmenter le positionnement sur des mots-clés très spécifiques, type viagra, cialis, etc. (vous connaissez la liste). Les gogos qui sont à la recherche de ces mots-clés les trouvent dans Google, pas dans les commentaires de votre blog ! Si les spammeurs changent leur fusil d'épaule pour jouer sur les clics, alors ils vont devoir se creuser un peu plus la tête pour rédiger leurs commentaires afin d'encourager le clic. Pour ce faire, ils vont être obligés de se rapprocher des tactiques du spam par e-mail, or les filtres bayésiens (comme ceux que vous pouvez connaître dans Spam Assassin, Thunderbird ou Apple Mail) excellent à filtrer ce type de spam, alors que leur efficacité est plus faible sur les spams à base de liens purs. L'observation d'un changement de texte dans les spams à l'avenir signalera alors un changement de tactique des spammeurs.

Les blogueurs responsables n'ont pas besoin de ça car ils ne laissent pas les spams perdurer sur leurs blogs. Le problème vient de tous les blogs qui sont laissés à l'abandon et qui servent de terrain de jeu aux spammers.

Les blogueurs responsables, et qui ont le temps de faire le ménage dans leur blog en permanence, n'ont effectivement pas forcément besoin de ça. L'autre argument est contestable, car s'il est vrai qu'il existe de vrais terrains de jeu pour les spammeurs dans les blogs laissés à l'abandon, mon intuition est que les gens qui abandonnent leur site l'ont très probablement créé sur l'une des grandes plateformes de blogging gratuites. Or ces plateformes vont implémenter le nofollow par défaut, rendant ainsi ces espaces inutiles pour les spammeurs. De plus ces blogs ont un PageRank quasi nul donc sont déjà peu intéressants pour les spammeurs, et je doute que ce type de blogs aient beaucoup d'audience, ils ne sont donc pas non plus efficaces en terme de clics.

Tout ceci est une conspiration du Grand Capital, dont Google est le valet, pour dévaluer les blogs au profit des grandes sociétés qui veulent que les blogueurs disparaissent à nouveau dans les lymbes de Google, dès fois qu'ils écriraient de mauvaises choses contre elles.

On ne rit pas, j'ai lu ça (ou quelque chose d'approchant) dans un commentaire ici (inclure ici un "Bwahahahaha !" sonore). Mon petit doigt me dit que ça ne va pas changer grand chose pour les blogueurs qui publient des choses intéressantes, mais que ceux qui ne publient de liens que dans les commentaires qu'ils laissent chez les autres risquent effectivement d'en pâtir. A ma connaissance, Google retourne des résultats d'abord en fonction du texte qui est indexé, et le nofollow n'y change rien car il y a de grandes chances que le texte à l'autre bout du lien, s'il est légitime, soit par ailleurs déjà indexé par Google.

Nofollow pas bon n'en mangez pas, mauvais, scandaleux, invention du diable, fin de la blogosphère, fin du monde ! Râle, râle, râle, râle (ad libitum)...

Google n'a rien inventé de nouveau avec l'attribut nofollow. Depuis des années, il est possible d'interdire à des moteurs de recherche d'indexer soit tout ou partie d'un site (c'est le protocole d'exclusion des robots, le fameux fichier robots.txt), soit d'indexer le contenu d'une page ou de suivre les liens qu'elles comporte (c'est la fonction du tag META robots avec les valeurs noindex et nofollow). Ce que l'attribut nofollow introduit, c'est un degré de finesse supplémentaire, au niveau d'un lien individuel. C'est tout ! Si les détracteurs du nofollow étaient logiques avec eux-mêmes, ils devraient rejeter en bloc tous les mécanismes d'exclusion des moteurs. Pourquoi ne le font-ils pas ? Parce qu'ils ne comprennent pas qu'on vient de leur donner plus de choix !

Cyril Fievet a mis le doigt sur la notion de hiérarchie entre liens, qui n'a aucune raison d'être aussi manichéenne que le prétendent la plupart des détracteurs du nofollow :
  1. les liens que je place dans mes billets
    1. ceux que je traite normalement
    2. ceux que j'affuble délibérément d'un nofollow parce que je ne veux pas contribuer à leur positionnement
  2. les liens que d'autres que moi placent sur mon site, via des commentaires ou des liens croisés
    1. les liens que je décide de traiter normalement car ils sont légitimes et apportent quelque chose à la discussion
    2. les autres liens, sur lesquels je mets une capote tant que je n'ai pas décidé qu'ils apportent quelque chose à la discussion

Mon sentiment est qu'une gestion fine du nofollow va en fait apporter un plus au blogeur : la possibilité de favoriser les contributeurs qui participent vraiment à la vie de son blog. Il n'y a pas de "droit au PageRank", il n'y a aucune magie immanente des liens comme le prétend Benoit. Le PageRank est par essence un système élitiste qui donne du poids à une page (et par conséquent à son auteur) parce que d'autres ont, en quelque sorte, voté en sa faveur en la pointant du doigt par un lien. Je trouve, personnellement, anormal qu'il suffisse de laisser un commentaire sans valeur quelque part pour avoir automatiquement le même effet que si le récipiendaire du commentaire faisait consciemment un lien vers mon site pour exprimer son intérêt pour ce que j'écris. J'ai la faiblesse de croire que j'ai gagné mon PageRank par le contenu que je publie et les liens qu'il a suscité plus que par les commentaires que j'ai pu laisser chez d'autres.

Nous sommes responsables de ce qui est publié chez nous, et le nofollow nous permet d'être des éditeurs plus actifs dans le tissage d'un web dont les liens ont une valeur sur laquelle nous pouvons agir. Voilà une utilisation qui va bien au-delà de la lutte contre le spam. Je trouve affligeant que les mêmes qui fustigent le côté robotisé de Google se plaignent quand on leur fournit enfin un outil qui va permettre à des humains d'affiner la valeur de chaque lien, un par un ! Quels cris d'orfraie vont-ils pousser lorsque Google se décidera à analyser d'autres attributs comme XFN ?

Je réaffirme donc ici que l'attribut nofollow est utile dans la boite à outils du webmestre, que je pense qu'il contribuera à nettoyer les index des moteurs de recherche à condition qu'il soit utilisé de manière responsable par ceux qui publient sur le web, et qu'il aura une influence positive sur la diminution du spam automatisé à grande échelle des commentaires et des liens. Mais il est primordial que les éditeurs de logiciels de blog donnent rapidement à leur utilisateurs les moyens d'affiner leur utilisation de ce nouvel outil au-delà d'un simple tout ou rien manichéen.