LEN, suite et fin

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Le tumultueux parcours du projet de loi sur la confiance dans l'économie numérique (LEN) s'achève aujourd'hui, avec la décision n° 2004-496 DC du Conseil constitutionnel. Les parlementaires qui ont saisi le Conseil constitutionnel sont invités par celui-ci à porter devant la Cour de justice des communautés européennes ceux de leurs griefs qui portent sur la directive, non sur la constitutionnalité de sa transcription en droit français, mais une telle saisine n'aurait pas pour effet d'empêcher le projet d'être maintenant transformé en loi, ce qui ne saurait tarder.

Benoît Tabaka analyse cette décision, d'où il ressort pour l'essentiel que :

  • la définition technique du courrier électronique ne saurait affecter le régime juridique de la correspondance privée et qu'en cas de contestation sur le caractère privé d'un courrier électronique, il appartiendra à l'autorité juridictionnelle compétente de se prononcer sur sa qualification
  • le régime de prescription spécial concocté pour la communication électronique en ligne est censuré car il enfreint le principe d'égalité (je m'étais posé cette question après la seconde lecture au Sénat) ; c'est donc le régime commun (trois mois à compter de la première publication) qui continue de s'appliquer, y compris pour l'exercice du droit de réponse
  • la responsabilité des hébergeurs ne saurait être engagée que s'ils n’ont pas procédé à la suppression d’un contenu manifestement illicite, ou jugé illicite par un tribunal

Lors des épisodes précédents, nous avons vu que :

  • l'obligation de surveillance des contenus par les prestataires techniques est supprimée (la Commission européenne ayant clairement indiqué qu'une telle disposition serait contraire à la directive)
  • une procédure de notification des prestataires pour contenu illicite, d'abord facultative, est rendue formelle
  • une obligation de rendre les données publiques numérisées (sauf exceptions indiquées) accessibles à toute personne qui en fait la demande est instituée, un décret déterminera les normes que doivent respecter les personnes publiques qui diffusent des données numérisées pour que ces données soient accessibles aux personnes atteintes d’un handicap visuel (malheureusement, personne ne semble avoir pensé aux autres handicaps, c'est fâcheux)

Les points demeurant délicats, et qu'il faudra surveiller avec vigilance, sont :

  • Si une définition générale du courrier électronique me paraît acceptable, voire souhaitable sous l'angle du spam et de certaines initiatives privées comme GMail de Google, la création d'un corpus législatif exclusivement réservé à la communication électronique en ligne me fait craindre la tentation d'introduire une divergence de traitement, entre media, de la notion de correspondance privée, exactement comme celle qu'a censuré la Conseil constitutionnel à propos du délai de prescription. Je pense tout particulièrement au droit du travail et au courrier électronique en entreprise
  • la mise en cause de la responsabilité des hébergeurs semble apparemment mieux cadrée que dans le projet initial, toutefois je fais le pari que beaucoup choisiront le chemin de moindre résistance lorsqu'un litige verra le jour, ce qui conduira à la suppression de contenus qui n'auront pourtant pas de caractère manifestement illicite ou n'auront pas fait l'objet d'un jugement. N'oubliez pas qu'en cas de suppression illégitime d'un contenu, c'est la responsabilité de la personne qui a demandé cette suppression qui est engagée, pas celle de l'hébergeur !

Je vais donc refermer ce dossier LEN pour le moment, jusqu'à la première affaire juridique qui ne manquera pas d'arriver. Cette affaire a été très riche en enseignements pour moi, sur le fonctionnement mutuel de l'Europe et de notre parlement national (directives, interprétations, transcriptions), sur la compréhension des technologies et notamment de l'internet par nos élus, sur leurs visions et contradictions quant à la position de la France dans ce réseau mondial, sur la tentation permanente de répression qu'ont certains à l'aune de leur morale aussi étriquée qu'est leur incompréhension du monde et qui me motiveront toujours à les combattre, sur l'espoir qui me reste que notre démocratie, même si elle cahote souvent, permet encore une influence citoyenne sur les débats parlementaires, et sur le fait que les sénateurs, finalement, peuvent être plus sages que leurs cadets députés.

En conclusion, je pense qu'il est temps de pratiquer un déminage concernant qui vous savez ;-).