Haro sur la LEN

La
LEN nuit gravement à la liberté d'expression

Nicole Fontaine taille sa LEN sur notre dos.

La Loi sur la confiance dans l'Economie Numérique est une loi révélant la méconnaissance crasse et la défiance qu'on certains parlementaires (et les lobbies qui sont derrière eux) de l'Internet. C'est aussi une loi qui a le rare privilège de faire l'unanimité contre elle par ses aspects liberticides, son flou prometteur de conflits à n'en plus finir et son origine clientéliste.

L'Association des Fournisseurs d'Accès ne s'y pas trompé en déclarant que cette loi créé 10 millions de présumés coupables.

Les deux points les plus pernicieux qui me font bondir aujourd'hui sont le déni de justice et la suppression du caractère confidentiel du courrier électronique qu'implique cette loi.

Le déni de justice se matérialise simplement par le fait que l'autorité judiciaire est écartée de fait de son rôle d'arbitre équitable. L'arbitrage est placé, au motif que la justice est trop lente, entre les mains d'acteurs privés qui se trouvent, involontairement faut-il le préciser, juge et partie, et dont l'équité se mesure à l'aune de leur intérêt financier direct (ce qu'on peut difficilement leur reprocher). Qu'on ne s'y trompe pas, le seul problème qui existait jusqu'à présent est uniquement lié à la lenteur de la justice, et cette lenteur est la conséquence de décisions prises sciemment par ces mêmes parlementaires. Pour leur propre confort, certains hommes politiques ont besoin d'une justice lente. Quand cette lenteur gêne leur amis financiers, la solution consiste à se défausser sur des acteurs privés. C'est exactement ce à quoi on assiste avec la LEN.

La suppression du caractère confidentiel du courrier électronique est implicite (le rapporteur se défend de toute atteinte explicite à ce droit) et marque un retour en arrière considérable si l'on songe que même La Poste, avec une "excuse" aussi énorme que le terrorisme depuis le 11 septembre, n'est jamais allée jusqu'à remettre en cause le caractère "sacré" de la correspondance privée. Pourtant, ses employés prennent des risques largement plus considérables en transportant des colis que les majors avec Internet. Majors que je cite à dessein puisque c'est grâce à elle que nous allons baisser la garde, au prétexte (je n'invente rien) que le pirates peuvent s'échanger de la musique par courriel. Entre le risque, bien réel, de manipulation de colis piégés et le risque, purement hypothétique et jamais démontré, que Pascal Nègre loupe une vente de CD, je vous laisse juger tant de l'importance qu'ont nos libertés fondamentales aux yeux de certains parlementaires que de leur capacité de jugement.

Le rapporteur de la loi, Jean Dionis du Séjour, passé au grill du chat du Journal du Net hier se défend tant bien que mal face à une levée de bouclier qu'il avoue avoir sous-estimée. Florilège :

notre loi est la transposition d'une directive européenne. Le cadre sera donc le même pour les 25 pays et pour 380 millions d'habitants, ce qui n'est quand même pas mal. Ensuite, il est utile d'avoir des spécificités nationales sur des points précis.

Sauf que l'esprit de la directive en question est tout autre (renforcer la protection des données personnelles et lutter contre le spam), qu'elle aurait dû être transposée dans le droit français avant le 31 octobre 2003, qu'elle n'appelle pas les mesures tant décriées ici et qui font de ces "spécificités nationales" un boulet qui fera de la France l'un des pays les moins accueillants dans un domaine phare de l'économie moderne. Et en Europe, il est par conséquent évident que le cadre sera loin d'être le même partout.

Les FAI ne sont pas raisonnables en disant [que la LEN est vraiment liberticide]. Je pense franchement que nous avons fait la première loi fondatrice du droit de l'Internet en France. Elle commence par : "La communication publique en ligne est libre." Alors liberticide ça ?

Fondatrice de l'absence de justice surtout, nous l'avons vu. Et que la loi commence par une déclaration de bonnes intentions n'enlève rien à son caractère vraiment liberticide. On n'attrape pas les mouches avec du vinaigre.

Comment pensez-vous que les hébergeurs vont pouvoir contrôler les contenus audio et vidéo ?
Les hébergeurs disposent de moyens logiciels puissants en matière de recherche textuelle et de reconnaissance de formes. Ils ne sont pas dépourvus comme ils le disent de temps en temps.

Ici, le rapporteur fait la preuve de sa méconnaissance du terrain et de la technologie. Je ne connais aucun hébergeur qui ait la capacité de passer automatiquement et efficacement en revue des sons et des vidéos pour y détecter un contenu particulier. Cette réponse appelle plusieurs remarques :

  • seules les industries du disque et du cinéma ont intérêt à ce type de contrôles (et en sont à l'origine)
  • le rapporteur avoue explicitement vouloir obliger les hébergeurs à contrôler a priori les contenus qu'ils hébergent (alors que les partisans de la LEN s'en défendent)
  • les hébergeurs eussent-ils les moyens techniques, le coût induit les rendrait immédiatement non compétitifs. Hors rien n'est plus facile, sur Internet, que d'aller se faire héberger dans des cieux plus cléments. Cette loi va provoquer une hémorragie de clients, prioritairement en faveur des Etats-Unis
Les moyens logiciels ? Très bien. On connaît l'efficacité. Cela reviendrait donc à censurer les travaux mis en ligne par un universitaire relatifs au révisionnisme. Cruel paradoxe, non ?
Personne ne croira que le service qualité de Wanadoo, par exemple, ne saura pas faire la différence entre un travail universitaire sur le révisionnisme et un site de propagande nazie.

Vous remarquerez que nous sommes subtilement passés de moyens techniques automatiques (tout à fait au point et à la portée de tout FAI d'après M. Dionis) à une censure manuelle. Reprenez ma remarque sur les coûts et faites la liste du nombre d'hébergeurs qui ont les moyens d'avoir une équipe de modérateurs. Personnellement, je n'ai aucune envie d'être hébergé par Wanadoo, le FAI de monsieur le député. Même si son PDG dit que cette mesure "qui restait jusqu'à présent le privilège d'États peu démocratiques comme la Birmanie, la Chine ou l'Iran, est inefficace et entraînera des coûts exorbitants". N'est-ce pas plutôt le rapporteur qui sur-estime la capacité des FAI et de la technologie ?

Plus de 500 000 sites chez Wanadoo. A raison de cinq minutes par site, ca fait presque cinq années (vous êtes ingénieur, donc corrigez-moi si je me trompe) de vérifications à raison de 24h/24 7J/7. Sans compter qu'un site OK le lundi, peut ne plus l'être le mardi. Bref, le service qualité de Wanadoo n'attend que vous ! :-)
Franchement, vous sous-estimez la puissance des outils logiciels du service qualité de Wanadoo. Comment pensez-vous que Google peut vous proposer en quelques secondes l'identification de sites pertinents d'une de vos requêtes et que les FAI ne pourraient faire de reconnaissance textuelle.

Encore un signe de méconnaissance du terrain. D'une part il n'existe aucun FAI en France qui aie les moyens de Google, d'autre part les algorithmes de Google sont secrets, c'est d'ailleurs la seule chose qui les protègent.

Le filtrage par IP des sites "illégaux" aux Etats-Unis est un échec retentissant avec des milliers de sites "légaux" filtrés par erreur et sans aucune explication. Comment croyez-vous pouvoir faire mieux ?
La loi impose aux FAI de mettre à l'oeuvre "à l'état de l'art" les moyens dont ils disposent pour bloquer l'accès à un contenu illicite. Donc, c'est une loi de bon sens. "A l'impossible nul n'est tenu".

Mais tout le monde est tenu de maintenir le cap, même sachant qu'on va droit dans le mur (un grand classique chez les dirigeants français, ils ne changent de cap que quand ils se sont pris le mur, non parce qu'ils sont aveugles mais parce que le mur peut toujours bouger, tout le monde sait ça).

Que répondez-vous à ceux qui disent que c'est le lobby de l'industrie du disque qui a gagné ?
Franchement, j'éclate de rire en lisant cette question. J'ai passé un an à me faire engueuler par ce lobby. Finalement, si maintenant je me fais engueuler par les FAI et par l'industrie du disque, c'est que la loi ne doit pas être si mauvaise.

Pourrions-nous voir les échanges ? Et quelle est cette conception de la politique qui veut que mécontenter toutes les parties prenantes signifie qu'on fait du bon travail ? Non que l'inverse soit toujours bon (ça s'appelle le clientélisme) mais j'aimerais beaucoup voir au moins quelques partisans de cette loi en dehors de ceux qui en sont à l'origine, et là, je sèche !

Le LEN passe en deuxième lecture au Sénat le 6 février 2004. Sans vouloir vous limiter dans vos moyens d'action, vous pouvez :

  • écrire à Jean Dionis du Séjour
  • écrire à votre sénateur
  • signaler à votre député votre opposition à la loi et le questionner sur sa conception de la justice et des libertés, en plus de sa position personnelle par rapport à la LEN
  • évaluer la connaissance qu'ont ces mêmes parlementaires d'Internet et de la technologie
  • faire le plus de bruit possible, on a l'impression que c'est devenu la seule façon de se faire entendre

Et mes deux préférés :

  • voter
  • cesser d'acheter des disques (Boycothon). Après tout j'ai un stock à réécouter où je veux, quand je veux et sur le lecteur de mon choix tant que j'en ai encore le droit, les CD d'occasions sont légions et rien ne m'oblige à financer une poignée de requins pour qu'ils attaquent mes droits pour continuer à pouvoir se payer cocaïne et limousines en offrant à l'humanité des contributions cul-turelles aussi immenses que la Star'Ac

Quelques liens supplémentaires pour continuer la réflexion :

Si vous avez trouvé d'autres liens intéressants (et même des articles favorables, il s'agit d'alimenter le débat), merci de les poster en commentaire.

P.S. Puisque le rapporteur s'en fait une bannière pour asséner ses vérités techniques, j'en profite pour préciser que moi aussi je suis ingénieur avec un diplôme en technologies de l'information et quelques heures de vol en matière d'informatique en général et d'hébergement de sites web en particulier. Mais vous n'êtes pas obligés de me croire sur parole.